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DE SHERLOCK HOLMES

voulus crier, et ne perçus qu’une sorte de croassement indistinct, qui était ma propre voix, mais lointaine et pour ainsi dire séparée de moi. À ce moment, comme je luttais pour me rendre libre, je déchirai le nuage de désespoir qui m’emprisonnait, et j’aperçus le visage d’Holmes, blême, rigide, tiré par la peur, tel, en un mot, que j’avais vu les visages des deux morts. Je bondis de ma chaise, j’entourai Holmes de mes bras ; tous les deux, flageolant sur nos jambes, nous gagnâmes la porte ; et bientôt après nous étions couchés côte à côte sur l’herbe, n’ayant plus conscience que du soleil qui se frayait un chemin glorieux jusqu’à nous à travers les infernales vapeurs dont nous avions l’âme obscurcie. Elles se dispersèrent lentement, comme se dissipe le brouillard d’un paysage. Le calme et la raison nous revinrent. Nous nous assîmes, nous épongeâmes nos fronts moites, nous nous entre-regardâmes, chacun de nous cherchant avec appréhension sur la figure de l’autre les derniers signes de la terrible expérience à laquelle nous venions de nous soumettre.

— Ma parole, Watson ! dit enfin Holmes d’une voix mal affermie, je vous dois non seulement des remerciements, mais des excuses. C’était là une expérience qu’on n’a pas le droit de faire même sur soi, à plus forte raison en y associant un ami. J’en suis véritablement désolé.

— Vous savez, répondis-je avec émotion, car jamais je n’avais lu si avant dans le cœur d’Holmes, vous savez que c’est pour moi une très grande joie de vous aider, et un précieux privilège.

Mais, reprenant bien vite l’attitude moitié plaisante moitié cynique qu’il affectait d’ordinaire devant ses familiers :

— Il était superflu de vouloir nous rendre fous,