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DE SHERLOCK HOLMES

ne gagnait pas de quoi vivre, s’en alla, autant que je crus comprendre, habiter chez sa sœur, à Croydon. Pour nous, l’existence continua d’aller couci-couça. Alors arriva cette fatale semaine qui devait consommer notre malheur et notre ruine.

Voici de quelle manière l’événement se produisit. Je venais de partir sur le May Day pour un voyage de six jours, lorsqu’une futaille, en se déplaçant, nous creva une tôle, et nous dûmes rentrer au port pour douze heures. Je quittai le navire et rentrai chez moi ; j’espérais faire une surprise à ma femme, je me disais que peut-être elle serait heureuse de me revoir si tôt. Au moment où, tout plein de cette idée, je tournais l’angle de notre rue, je me croisai avec un cab : il portait ma femme et Fairbairn, assis côte à côte, bavardant, riant, et ne pensant guère à moi, qui les observais de la chaussée.

Je vous en donne ma parole : à partir de cette minute, je ne me possédai plus. Si je fais un retour sur moi-même, je revois tout dans le brouillard d’un songe. J’avais bu sec dans les derniers temps ; la boisson et le spectacle que j’avais devant les yeux me brouillaient ensemble le cerveau. Il y a, maintenant, quelque chose qui me bat dans la tête comme un marteau de radoubeur ; mais, ce matin-là, je crus que tout le Niagara me sifflait et me bourdonnait dans les oreilles.

Je pris mes talons à mon cou et m’élançai derrière le cab. J’avais à la main un gros gourdin de chêne. Je vous l’ai dit, j’avais commencé par voir rouge ; mais, tout en courant, je retrouvai quelque clairvoyance, et je m’arrêtai un peu pour les surveiller à leur insu. Bientôt ils arrivèrent à la gare. La foule encombrait le guichet, ce qui me permit de m’approcher d’eux sans en être remarqué. Ils prirent des places pour New