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fenêtres, et sur les murs couraient des rosaces de lichen. Mes pas sonnèrent bruyamment dans le silence des pièces. Puis, à l’aventure, j’enfilai le corridor ; je pensais qu’au moins l’on viendrait à la cuisine, ou je finirais par découvrir un gardien dans quelque coin d’appartement. Mais partout régnait la même solitude. Désespérant de trouver du secours, je pris un autre couloir, au bout duquel m’attendait une nouvelle surprise.

J’avais en face de moi une grande porte brune, dont un scellé de cire rouge, large comme une pièce de cinq shillings, défendait la serrure : couvert de poussière et décoloré, le scellé devait être là depuis longtemps. Je le considérais avec étonnement me demandant ce que pouvait cacher cette porte, quand je m’entendis rappeler dans le vestibule. Je retournai sur mes pas et vis mon jeune homme assis à la même place,

« Pourquoi me dit-il, aviez-vous emporté la lampe ?

— Je cherchais de l’aide.

— Vous pouviez chercher. J’occupe seul la maison.

— Bien incommode en cas de maladie.

— M’évanouir ainsi, c’est stupide. Je tiens de ma mère une extrême faiblesse du cœur, et le moindre chagrin, la moindre émotion me terrassent. Cela m’emportera un jour ou l’autre, comme ma mère. Vous ne seriez pas médecin, par hasard ?

— Je suis Mr. Frank Alder, solicitor.

— Et moi, Mr. Félix Stanniford. Drôle de rencontre que la nôtre ! Mon ami Mr. Perceval prétend justement que nous allons avoir besoin d’un homme d’affaires.

— Charmé, je vous assure.

— La chose dépend de mon ami. N’ai-je pas compris que vous aviez exploré tout le rez-de-chaussée avec la lampe ?

— Oui.

— Vous dites : « tout » ? insista mon interlocuteur, appuyant sur « tout » et m’observant d’un œil fixe.

— Il me semble. J’espérais rencontrer quelqu’un.

— Et, continua-t-il sans détourner le regard, vous êtes entré dans toutes les chambres ?

— Dans toutes celles où je pouvais entrer.

— Ce qui signifie que vous avez remarqué ? fit-il avec un haussement d’épaules, en homme qui prend son parti d’une contrariété.

— Remarqué quoi ?

— La porte scellée.

— En effet.

— Et vous n’avez pas été curieux de voir ce qu’il y a derrière ?

— Cela m’a paru insolite.

— Pensez-vous que vous pourriez vivre seul, dans cette maison, des années entières, harcelé sans trêve par le désir de savoir ce qu’il y a derrière cette porte, et, malgré tout, y résistant ?

— Quoi ! m’écriai-je, vous ne le sauriez pas vous-même ?

— Pas plus que vous.

— Pourquoi ne pas regarder ?

— Je ne le dois pas. »

Il parlait avec contrainte. Évidemment, je venais d’aborder à l’étourdie un sujet délicat. Je ne me crois pas plus curieux qu’un autre ; mais la situation avait, certes, de quoi provoquer l’intérêt. Cependant, rien ne me retenait plus dans la maison à présent que mon inconnu avait repris connaissance. Je me levai pour partir.

« Vous êtes pressé ? me demanda-t-il.

— Je n’ai rien à faire.

— Alors, vous me rendriez heureux si vous vouliez bien me tenir un instant compagnie. Je mène ici une vie retirée, très recluse. Je doute qu’il y ait personne à Londres pour mener une vie pareille. Il ne m’arrive que rarement d’avoir quelqu’un avec qui causer. »

J’inspectai d’un regard la petite pièce pauvrement meublée, avec un fauteuil-lit dans un angle. Puis, je pensai à la grande maison nue, à la sinistre porte que scellait un cachet fané, de cire rouge. Tout cela, par sa bizarrerie, me donnait l’envie d’en savoir davantage. Peut-être, en restant, y parviendrais-je. Et je dis que je resterais avec plaisir.

« Vous trouverez les liqueurs et un siphon sur la table à côté. Excusez-moi de remplir si mal les devoirs de l’hospitalité, mais je n’ai pas la force de traverser la chambre. Il y a des cigares, là, dans cette boîte. Je crois que j’en prendrai un moi-même. Ainsi, vous êtes solicitor, Mr. Alder ?

— Oui.