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tis, de larges courbes, et des murs bas de pierres sèches la bordaient à droite et à gauche. La vaste lande, marbrée de troupeaux et de quartiers de rocs, s’étageait, par montées progressives, jusqu’au bord vaporeux du ciel. À certain endroit, une dépression de terrain échancra une brusque et lointaine perspective de mer grise.

Autour de nous, ce n’était que désert aride et morne, et je commençais, sous l’influence du paysage, à croire mon étrange mission plus sérieuse qu’elle ne m’était apparue à distance. Cet appel au secours, si soudain, de la part d’un oncle que je n’avais jamais vu et de oui je n’avais entendu que peu de bien, le ton pressant des télégrammes, l’allusion à mes moyens physiques, le prétexte pour que j’apportasse une arme, tout cela, réuni, prenait un sens encore vague mais sinistre. Ce qui, vu de Kensington, semblait impossible, devenait très probable sur ces collines solitaires et sauvages. Cédant à ces noires pensées, je me tournai vers mon compagnon, dans l’intention de l’interroger un peu sur mon oncle ; mais l’expression de son visage m’arrêta.

Au lieu de surveiller sa vieille bique alezane et la route que nous suivions, il regardait par-dessus moi, non pas seulement avec curiosité, mais aussi, me sembla-t-il, avec crainte. Il leva le fouet pour cingler le cheval, puis le laissa retomber, comme convaincu que ce n’était pas la peine. Au même instant, ayant suivi la direction de son regard, je vis ce qui l’occupait.

Un homme courait à travers la lande. Il courait lourdement, avec des faux pas et des glissades. Cependant, grâce à un coude de la route, il nous gagna de vitesse. Comme nous approchions, il grimpa sur le mur de pierre et resta là, nous attendant. Le soleil du soir illuminait son visage brun et sans barbe. C’était un fort gaillard, corpulent et d’ailleurs mal en point, car, une main sur les côtes, il soufflait bruyamment, tout époumoné de sa brève course. Quand nous fûmes près, je vis luire des anneaux à ses oreilles.

« Eh ! camarades, chez qui c’est-y que vous allez comme ça ? demanda-t-il d’un ton de rude bonhomie.

— Fermier Purcell, Garth Farm, dit le conducteur.

Il grimpa sur le mur et resta là, nous attendant. (p. 17.)

— Pardon si je vous arrête, cria l’autre de sa place. L’idée m’est venue de vous héler au passage. Si le hasard nous avait menés du même côté, j’aurais osé vous demander de me prendre. »

Prétexte ridicule : notre carriole était chargée autant, évidemment, qu’elle pouvait l’être. Mais mon conducteur ne semblait pas en humeur d’engager un colloque. Sans répondre, il poussa son cheval. En me retournant, je vis, d’un coup d’œil, l’étranger assis au bord de la route et bourrant sa pipe.

« Un marin ? dis-je.

— Oui, patron. Nous ne sommes qu’à quelques milles de Morecambe-Bay, répondit le conducteur.