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et rester assis, portant son regard tantôt sur elle, tantôt sur moi, et recommençant ensuite comme s’il ne pouvait se rassasier de nous voir.

Si jeune que je fusse, je compris que c’était le moment auquel il avait rêvé pendant bien des heures de garde solitaire et que l’espérance de goûter pareille joie l’avait soutenu dans bien des instants pénibles.

Parfois, il touchait de sa main l’un de nous, puis l’autre.

Il restait ainsi immobile, l’âme trop pleine pour pouvoir parler, pendant que l’ombre se faisait peu à peu dans la petite chambre et que l’on voyait de la lumière apparaître aux fenêtres de l’auberge à travers l’obscurité.

Puis, quand ma mère eut allumé nos lampes, elle se mit soudain à genoux et lui aussi, mettant de son côté un genou en terre, ils s’unirent en une commune prière pour remercier Dieu de ses nombreuses faveurs.

Quand je me rappelle mes parents tels qu’ils étaient en ce temps-là, c’est ce moment de leur vie qui se présente avec le plus de clarté à mon esprit, c’est la douce figure de ma mère toute brillante de larmes, avec ses yeux bleus dirigés vers le plafond noirci de fumée.

Je me rappelle comme, dans la ferveur de sa prière, mon père balançait sa pipe fumante, ce qui me faisait sourire, tout en ayant une larme aux yeux.

— Roddy, mon garçon, dit-il après le souper, voilà que vous commencez à devenir un homme, maintenant. J’espère que vous allez vous mettre à la mer, comme l’ont fait tous les vôtres. Vous êtes assez grand pour passer un poignard dans votre ceinture.

— Et me laisser sans enfant comme j’ai été sans époux ?

— Bah ! dit-il, nous avons encore le temps, car on