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jim harrison, boxeur

fils de famille venu, pour une demi-couronne. Il n’avait pas à ménager sa figure, voyez-vous, car il a toujours été l’homme le plus laid d’Angleterre. Mais voilà bien près de soixante ans qu’on lui a fendu l’oreille et il a fallu lui flanquer plus d’une raclée pour lui faire comprendre enfin que la force le quittait.

— La jeunesse aura son compte, mes maîtres, ronronnait le vieux en secouant pitoyablement la tête.

— Remplissez-lui son verre, dit War. Eh ! Tom, versez-lui une goutte de tord-boyaux à ce vieux Buckhorse. Réchauffez-lui le cœur.

Le vieux versa un verre de gin dans sa gorge ridée. Cela produisit sur lui un effet extraordinaire.

Une lueur brilla dans chacun de ses yeux éteints.

Une légère rougeur se montra sur ses joues cireuses.

Ouvrant sa bouche édentée, il lança soudain un son tout particulier, argentin comme celui d’une cloche au son musical.

De rauques éclats de rire de toute la compagnie y répondirent. Des figures allumées se penchèrent en avant les unes des autres pour apercevoir le vétéran.

— C’est Buckhorse, cria-t-on, c’est Buckhorse qui ressuscite.

— Riez si vous voulez, mes maîtres, s’écria-t-il dans son jargon de Lewkner Lane en levant ses deux mains maigres et sillonnées de veines. Il ne se passera pas longtemps avant que vous voyiez mes griffes qui ont cogné sur la boule de Figg et sur celle de Jack Broughton et celle de Harry Gray et bien d’autres boxeurs fameux qui se battaient pour gagner leur pain, avant que vos pères fussent capables de manger leur soupe.

La compagnie se remit à rire et à encourager le vétéran, par des cris où l’intonation railleuse n’était pas dépourvue de sympathie.