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arriver en temps utile. Jusqu’au mardi soir, il n’y eut pas un mot de découragement.

À la vérité, le mercredi, la foi robuste des défenseurs en ce qui leur venait par delà ces collines avait un tant soit peu faibli. Les pentes se déroulaient nues et muettes, cependant que les lignes d’investissement poussaient toujours plus proche, si proche que l’on distinguait dans le moindre détail de leurs traits les horribles faces qui, par dessus les amas de pierres, vomissaient de temps en temps des imprécations. On entendait pourtant moins de cris depuis que le jeune Ainslie, du service diplomatique, avec sa jolie petite carabine de chasse du calibre 303, s’embusquait dans le clocher trapu de l’église, où il passait les jours à démolir cette engeance. Mais des retranchements silencieux sont encore plus impressionnants ; et régulièrement, irrésistiblement, inéluctablement, les lignes de pierres sèches et de briques se resserraient. Il suffirait bientôt d’un bond pour jeter sur les frêles travaux de la défense ces guerriers frénétiques. La situation apparaissait donc très noire dans la soirée du mercredi. Le colonel Dresler, l’ancien soldat d’infanterie allemande, gardait une figure imperturbable ; mais il se sentait du plomb au cœur. Ralston, du chemin de fer, passa une moitié de la nuit à écrire des lettres d’adieu. Le professeur Mercer, le vieil entomologiste, se renfermait plus que jamais dans un silence pensif et morose. Ainslie avait un peu perdu de sa belle assurance. Tout compte fait, c’étaient les dames — Miss Sinclair, la garde-malade de la mission écossaise, Mrs. Patterson, et sa fille, la jolie Miss Jessie — qui montraient le plus de quiétude. Le Père Pierre, de la mission française, gardait, lui aussi, tout son sang-froid : ce qui n’avait rien que de naturel pour un homme habitué à considérer le martyre comme une gloire. Les Boxers qui de l’autre côté du mur réclamaient avidement son sang le troublaient moins que la société forcée du pasteur de l’église presbytérienne, Mr. Patterson, à qui, depuis dix ans, il disputait opiniâtrement les âmes des indigènes. Quand ils se croisaient dans les couloirs, c’était comme se croisent chien et chat ; et ils se surveillaient ombrageusement, crainte que dans les tranchées l’un ne dérobât à l’autre quelqu’une de ses ouailles en lui chuchotant des paroles d’hérésie.

La nuit du mercredi s’écoula sans incident. Le jeudi, tout s’éclaircit de nouveau. Ce fut Ainslie qui, monté dans la tour de l’horloge, perçut le premier au loin un grondement de canon. Dresler l’entendit ensuite. Au bout d’un instant, ils l’entendaient tous, la puissante voix du bronze, qui les appelait, qui les invitait à se réjouir puisque le secours venait. Donc, les compagnies de débarquement étaient en route. Elles n’arriveraient pas trop tôt d’une heure. Les cartouches allaient manquer. Les rations de vivres allaient encore se réduire. Mais qu’importait cela maintenant qu’on avait la certitude de la délivrance ? Il n’y aurait pas d’attaque dans la journée : car on voyait les Boxers refluer en masse vers la fusillade lointaine ; et les longues lignes qu’ils occupaient restaient silencieuses et désertes. Aussi la table réunit-elle à déjeuner une assemblée heureuse et loquace, débordant de cette joie de vivre qui jaillit plus éclatante sous l’ombre de la mort.

— Le baril de caviar ! cria Ainslie. Voyons, Professeur, allez-y du baril de caviar !