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Mrs. Delamere, la femme du sculpteur dont le nom est en train de se révéler. L’expérience nous avait démontré qu’en ces matières vouloir opérer sans médium était aussi vain que de vouloir, en astronomie, opérer sans télescope. D’autre part, nous repoussions tous avec horreur l’idée d’introduire parmi nous un médium à gages. Homme ou femme, ne se croirait-il pas tenu de nous en donner pour notre argent, et la tentation de fraude ne serait-elle pas trop forte ? Quel crédit mériteraient des phénomènes produits à raison d’une guinée par heure ? Fort heureusement, Moir avait découvert chez sa sœur une nature de médium ; c’est-à-dire qu’il la considérait comme une batterie de cette force magnétique animale qui est la seule forme d’énergie assez subtile pour que nous agissions sur elle du plan spirituel comme nous agissons du plan matériel. Il va de soi qu’en m’exprimant ainsi je n’entends pas faire une pétition de principe : j’indique simplement par quelle théorie nous expliquions nous-mêmes, à raison ou à tort, ce que nous voyions. La dame venait sans l’assentiment bien formel de son mari ; et quoiqu’elle ne manifestât jamais une très grande force psychique, nous en obtenions au moins ces phénomènes usuels de transmission de pensée si puérils et si mystérieux tout ensemble. Chaque dimanche soir, nous nous réunissions dans l’atelier d’Harvey Deacon, à Badderly Gardens, la maison qui fait le coin de Merton Park Road.

L’œuvre de Harvey Deacon, par la qualité d’imagination dont elle rendait témoignage, semblait trahir chez l’artiste la passion de l’outré et du sensationnel. À l’origine, un certain pittoresque l’avait attiré vers l’étude de l’occultisme ; mais son attention ne tarda pas à tomber en arrêt devant quelques-uns des phénomènes dont je parlais tout à l’heure, et il en vint rapidement à se convaincre que ce qu’il avait pris pour une amusette, pour un passe-temps d’après-dîner, constituait une réalité formidable. C’était un homme d’un cerveau remarquablement lucide et logique, un vrai petit-fils de son ancêtre, le célèbre professeur Scotch ; et il représentait, lui, dans notre groupe, l’élément critique, l’homme sans préjugés, préparé à suivre les faits aussi longtemps qu’il peut les voir, et ne laissant pas ses théories prendre l’avance sur ses données. Sa circonspection agaçait Moir autant, que Moir le divertissait par sa foi robuste ; mais, chacun à sa manière, ils apportaient l’un et l’autre dans la question une même ardeur.

Et moi ? Qui représentais-je, à vrai dire ? Non pas le dévot. Non pas la critique scientifique. Mais, plus justement, le dilettante. Préoccupé de toujours rester « dans le mouvement », je me félicitais de toute sensation nouvelle qui me fît sortir de moi-même. Sans disposition personnelle à l’enthousiasme, j’aime les enthousiastes. Les propos de Moir m’emplissaient d’un vague bien-être, comme si j’eusse senti par eux que nous tenions la clef des portes de la mort. L’atmosphère apaisante des séances, toutes lumières voilées, me causait un délice. J’y assistais parce que je m’y amusais.

Ce fut, comme je l’ai dit, le 14 avril dernier que survint l’événement très singulier qui m’occupe. En arrivant à l’atelier, j’y trouvai Mrs. Delamere, qui avait pris le thé dans l’après-midi avec Mrs. Harvey Deacon. Pas d’autre homme que Deacon lui-même, en compagnie de qui les deux dames examinaient un tableau commencé