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INTRODUCTION.

Quoi qu’il en soit, l’impression produite était profonde, soit chez les spectateurs, soit chez les acteurs eux-mêmes. En 1865, Luzel, au cours d’une de ses tournées en Bretagne à la recherche des restes et des souvenirs du théâtre celtique, rencontra à Lannion un des meilleurs acteurs de l’ancienne troupe, un vieux tailleur nommé Yves Le Pezron, qui demeurait au bas de la rue de Tréguier. « Quand je lui eus fait part du motif de ma visite », écrit Luzel, « un frisson électrique parcourut tout son corps, ses yeux s’animèrent, il se redressa de toute sa taille », et le voilà contant les rôles où il s’illustra : « Louis Eunius, Monsieur, quel homme ! quel brigand sans âme et sans cœur ! Eh bien, n’importe, j’aimais bien à jouer ce rôle-là. Imaginez-vous que l’on joue aux boules sur le théâtre, et aux dés[1] et aux cartes. Je perds à tous les jeux et, comme je n’ai plus le sou, j’assomme à coups de bouteilles les joueurs qui m’ont gagné mon argent, puis je les vole, je les dépouille de tout ce qu’ils ont sur eux et les laisse à demi-morts sur la place ! Puis, je me fais brigand sur les grands chemins, je détrousse les marchands, je pille les châteaux, je viole les femmes, j’enlève du couvent ma cousine Théodosia et m’enfuis avec elle... Enfin, je suis un vrai démon incarné ! Puis, tout change tout à coup : autant j’ai été méchant et cruel, autant je deviens repentant et mène une vie exemplaire. Pour racheter ma vie de désordres et de crimes, je fais le vœu d’entreprendre le redoutable voyage du Purgatoire de saint Patrice. Il fallait me voir, revenu du gouffre, racontant les peines et les ‘tourments de ce lieu d’expiation. Tout le monde pleurait à grosses larmes. Les Lannionriais n’ont pas oublié et n’oublieront pas de longtemps Yves Le Pezron dans le rôle de Louis Eunius ! Ecoutez ce passage[2]. » Et Le Pezron récita avec enthousiasme à Luzel les vers 3170-3199 du Mystère.

La date, le lieu et l’auteur.

Quelle est la date de Louis Eunius ? Pour trancher cette question, les idées contenues dans la pièce nous seront d’un plus grand secours que la langue. La langue des mystères bretons est en effet une langue assez artificielle où les éléments vivants se mêlent aux archaïsmes[3]. Du point de vue des idées, il faut distinguer

  1. Voir ci-dessus, deuxième rédaction P.
  2. Luzel, Notes manuscrites inédites sur le théâtre breton. La version de Le Pezron était assez différente de la nôtre. La scène où Louis Eunius rencontre son confesseur et sa cousine ôtait, comme chez le P. Boüillon, placée avant l’arrivée au Paradis, et il y a de nombreuses variantes de détail ù en juger par la traduction que donne Luzel. C’est, à quelques expressions près, le texte de M.
  3. Voir ci-après, Vocabulaire.