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INTRODUCTION.


suffisamment esquissé par Montalvan, qui n’ait, dans l’excès de son malheur, quelques accents personnels et des plaintes touchantes ; au lieu de la cloîtrer dans un couvent d’Espagne, l’auteur breton l’envoie à un jubilé à Sens et s’abstient de nous renseigner sur le reste de sa vie. Mais l’auteur n’a pas osé modifier le récit du P. Boüillon de façon à ce que le personnage énigmatique de la cousine que Louis rencontre dans le Purgatoire (v. 3185-3192) ne fit qu’un avec Théodosia.

Quant à la conduite du drame, elle présente d’assez graves défauts dus à l’inexpérience dramatique de l’auteur. La première partie est constituée par une sorte de pièce à tiroirs où les scènes ne sont pas rangées de façon à ce que l’action suive une progression régulière. L’épisode de Théodosia, qui devrait être le nœud de l’action, est perdu au milieu de scènes analogues qui n’offrent pas le même intérêt et dont deux sont à peu près identiques, la scène de la femme, v. 1250, et la scène de la jeune fille, v. 1311 a). Je ne parle pas des diableries, qui constituent dans les pièces bretonnes un intermède comique indispensable.

Dans la seconde partie, l’auteur breton a trouvé chez le P. Boüillon la gradation des effets dramatiques ; il a traité certaines scènes, par exemple le discours de l’évêque, avec un sens réel de la grandeur tragique, mais il met malencontreusement dans la bouche de Louis Eunius un récit complet de tous les événements que nous avons vu dérouler sous nos yeux. On peut se demander si ce récit n’a pas été introduit pour suppléer aux obscurités qu’une mise en scène moins que rudimentaire devait laisser dans l’esprit des spectateurs, ou même si, à certaines représentations, ce récit ne tenait pas la place des scènes de supplice impossibles à figurer w. Quoi qu’il en soit de ces défauts, le Mystère breton du Purgatoire de saint Patrice est une des pièces qui font le mieux comprendre ce que fut en Bretagne le théâtre populaire ; essentiellement religieux — les prières, invocations, sermons, confessions occupent un sixième de la pièce ; — proche de la vie de tous les jours, dont il met en scène les personnages, reproduit les menues actions, parle le langage ; — pénétré de grosse gaîté et parsemé de scènes (1) Cette_ scène se trouve d’ailleurs après que Louis a déclaré qu’il s’en allait en Allemagne, et il y est question de la ville de Vitré. C’est donc probablement une interpolation.

(2) Toujours est-il qu’il contient un épisode (v. 3379-3385) qui n’est pas dans la pièce et qui ne se trouve pas chez le P. Boüillon. C’est l’enfer figuré par la gueule de Satan dans laquelle entrent les âmes. Cf. la Vision de Tundale, éd. Friedel et Kuno Meyer, p. 39, 134. Cette représentation est fréquenta dans l’art chrétien. On la trouve, par exemple, dans Les très riches heures de Jean de France, duc de Berry, par Paul Durrieu, Pgris, 1904, pl. XLVII. Cf. C. S. Boswell, An Irish precursor of Dante, p. 215, note.