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LES PERSONNAGES.


pièce un rôle considérable, le plus souvent comique ; on connaît leur nom ; ce sont le vieux Satan, vieillard ridicule et presque gâteux (cf. v. 2358) ; le compatissant Astaroth, l’impitoyable Momon et tant d’autres : Bérith, Bigoré, Asmodée, Belzébuth. Leurs discours^sont d’un bout à l’autre une composition originale. Les acteurs secondaires, aubergistes, soldats, douaniers, passants, personnages familiers de la route bretonne, ont été multipliés presque jusqu’à l’excès ; à défaut de relief, ils ont une simplicité vraie, et leurs aventures sont suffisamment variées ; la résignation passive des femmes a quelque chose de touchant ; mais il en est d’énergiques, comme la dame à qui Louis demande de la monnaie ; les douaniers ne ressemblent pas aux soldats ; les caractères des deux sergents choisis pour servir de témoins à Louis s’opposent suffisamment. Le sous-officier recruteur, dont les paysans bretons du XVIIIe siècle durent souvent admirer la belle prestance, les vêtements dorés et le casque empanaché, a été changé, par le naïf auteur, en général de France ; ce singulier .« général » fait le boniment, marchande la solde et cède aux menaces de Lamontagne. La rencontre de Louis Eunius et des douze religieux (v. 2665) a été transformée par l’introduction des personnages de saint Pierre, saint Paul et saint Patrice. Le sergent aux longues moustaches, objet de crainte et de moquerie dans les campagnes bretonnes, est devenu un type amusant par sa couardise finaude.

Le personnage de Carnagon est singulièrement déconcertant. Il est qualifié (v. 317 b) de fils aîné de Marie Robin, c’est-à-dire de policier ou de gendarme. Or, le rôle qu’il joue auprès de Louis Eunius et de Théodosia est (v. 310-398) celui de Méphistophélès auprès de Faust et de Marguerite. Et, dans l’enfer, il apparaît comme démon (v. 2938-2947). Les vers mis dans la bouche de Carnagon, dans A 2835, sont débités par le diable Asmodée, dans C ; dans M, Carnagon est remplacé par Satan, et dans Q par Belzébuth.

Les personnages principaux dont l’auteur breton avait trouvé le prototype chez le P. Bouillon ne sont pas exactement copiés sur leur modèle. Louis Eunius n’est plus seulement le sinistre brigand w de la légende espagnole, ivrogne, voleur, souteneur, assassin, c’est en même temps tantôt une sorte de Guignol ou de Polichinelle dont il a le langage cru, les saillies plaisantes et le gros bâton ; tantôt, sous le masque de Lamontagne, un matamore de la comédie italienne et un faiseur de prodiges. Il n’est pas jusqu’à Théodosia, dont le caractère était pourtant (1) Le théâtre breton avait un personnage analogue dans Robert le Dia6le.