Page:Dottin - Louis Eunius.pdf/32

Cette page n’a pas encore été corrigée
22
PÉREZ DE MONTALVAN

elle consentit à s’abandonner à tous ceux qui la courtisaient, pour leur argent.

Pendant dix ans, elle courut ainsi toute l’Espagne, jusqu’à ce que, touchée de la grâce de Dieu, elle prit la résolution d’aller trouver secrètement un homme vénérable qui était dans une petite bourgade d’Andalousie et elle lui fit une confession générale de sa vie. Le religieux l’introduisit comme servante dans un monastère de l’endroit, où il avait deux sœurs ; Théodosia y resta, malgré les efforts de Louis pour l’en retirer, et, pendant six ans, y fit une pénitence austère et exemplaire, jusqu’à ce qu’elle mourût, laissant aux religieuses l’exemple de la vie la plus exemplaire qu’on eût encore vue.

Durant huit années après la retraite de Théodosia, Louis continua ses larcins et ses meurtres. Au bout de ce temps, il retourna à Toulouse, où personne ne le reconnut. Comme il y avait là une compagnie de soldats[1], il s’enrôla parmi eux, plutôt dans le dessein de suivre impunément le cours de ses infamies qu’avec le désir de se battre pour le roi de France, dont il était vassal. Comme il était courageux et hardi, il fit des exploits si généreux qu’il s’acquit en peu de temps la réputation d’un vaillant capitaine, et, le lieutenant de sa compagnie étant mort, il lui succéda par son propre mérite, et profita de l’autorité de sa situation pour continuer ses méfaits. Un jour qu’il avait fait marché pour un assassinat, il alla se poster, à la brune, dans l’endroit on devait passer son homme ; comme il l’avait devancé, il attendit, et tout à coup il lui sembla que quelque chose voltigeait au-dessus de son chapeau. Levant les yeux, il vit un papier qui se maintenait dans l’air ; il essaya de l’attraper, et se trouva par cette poursuite éloigné en peu de temps du lieu où il s’était mis en embuscade ; cependant, l’homme qu’il guettait était passé et rentré chez lui. Il resta le reste de la nuit et le jour à méditer sur cet événement extraordinaire. Le soir, il se rendit au même endroit et fut témoin du même prodige. La troisième nuit, il finit par attraper le billet. A peine l’eût-il entre les mains qu’il aperçut près de lui une croix éclairée d’une lampe, et, au bas, ces mots écrits en français : Ici a été tué un homme, priez Dieu pour lui[2]. IV retourna sur ses pas, tout bouffi de colère, et, ouvrant le papier, il y vit peint un homme semblable aux représentations que l on met sur les corps au jour des funérailles, avec cette inscription en gros caractères : Je suis Louis Enius. Il fut pris de défaillance et dut, pour ne pas tomber, s’appuyer à la muraille. Puis, rappelant ses forces, il s’en alla,

  1. Il trouva qu’on faisoit un grand appareil de guerre et qu’on levoit des soldats pour mettre une armée en campagne (Boüillon).
  2. Pour son âme (Boüillon).