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— Laisse-moi ! fit-elle impatiemment et en éclatant de rire.

Elle se pencha, saisit mon pied qu’elle appuya sur son genou et elle rattacha mon soulier.

J’étouffais. Je ne savais que faire. J’étais empoignée par un sentiment très doux. Quand elle eut fini, elle se releva et me regarda des pieds à la tête.

— Voilà. Ton cou est découvert, dit-elle en touchant mon cou ; laisse, je vais l’arranger.

Je ne fis pas d’objections ; elle arrangea le fichu sur mon cou, à sa façon.

— Autrement on peut s’enrhumer, dit-elle avec un sourire rusé et en me regardant de ses yeux noirs et humides.

J’étais hors de moi. Je ne savais ce qui se passait en moi et ce qui s’était passé chez Catherine. Grâce à Dieu, notre promenade fut bientôt terminée, sans quoi je n’aurais pas pu y tenir : je me serais mise à l’embrasser dans la rue. En montant l’escalier, je l’embrassai à la dérobée sur l’épaule. Elle s’en aperçut, tressaillit, mais ne souffla mot. Le soir, on lui mit une belle toilette et elle descendit. La princesse avait des invités. Mais ce même soir la maison fut tout à fait sens dessus dessous : Catherine eut une crise de nerfs. La princesse était bouleversée. Le docteur, qu’on avait fait appeler, ne savait que dire ; naturellement tout fut mis sur le compte des troubles de l’âge ; mais moi, je pensais autre chose.

Le matin, Catherine reparut chez nous, gaie comme toujours, pleine de santé, mais plus capricieuse et originale que jamais. Premièrement, durant toute la matinée elle refusa d’obéir à Mme Léotard ; ensuite, tout d’un coup, elle exprima le désir d’aller voir la vieille princesse. Contrairement à l’ordinaire, la vieille princesse, qui détestait sa petite-nièce, refusait de la voir et la querellait toujours, voulut bien cette fois la recevoir. D’abord tout alla bien, et pendant la première heure, elles furent parfaitement d’accord. L’espiègle Catherine demanda pardon pour toutes ses fautes, pour sa vivacité, ses cris et pour le trouble qu’elle apportait à la princesse. Celle-ci solennellement et les larmes aux yeux lui pardonna. Catherine promit d’être humble, repentante et la vieille princesse fut enchantée ; son amour-propre était flatté à l’idée de sa victoire prochaine sur Catherine, trésor et idole de toute la maison, qui savait forcer jusqu’à sa mère à exécuter ses caprices.