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NIETOTCHKA NEZVANOVA


(Suite )


V (suite)[1]

Le défaut principal de la petite princesse ou, pour mieux dire, le trait principal de son caractère était l’orgueil. Cet orgueil se manifestait jusque dans les plus petites choses, se transformant en amour-propre au point que la contradiction, quelle qu’elle fût, ne l’offensait pas, ne la fâchait pas, mais provoquait seulement en elle de l’étonnement. Elle ne pouvait pas comprendre qu’une chose pût se faire autrement qu’elle le désirait. Cependant le sentiment de la justice dominait toujours dans son cœur. Se rendait-elle compte qu’elle était injuste, aussitôt elle se soumettait à l’arrêt de sa conscience, sans objection ni faux-fuyants. Le fait que jusqu’à ce jour, dans ses rapports avec moi, elle dérogeait à ce principe, s’explique, je pense, par une antipathie incompréhensible qui troublait pour un moment l’harmonie de tout son être. Et cela était forcé. Elle était trop passionnée dans ses élans, et ce n’était toujours que l’exemple, l’expérience, qui la mettaient dans la vraie voie. Les résultats de ses intentions devaient être très beaux et vrais, mais ils se produisaient par des écarts et des erreurs perpétuels.

Catherine en eut bientôt assez de m’observer, et elle résolut alors de me laisser tranquille. Elle fit comme si je n’étais pas là. Pour moi elle n’avait pas un mot de trop, pas même ce qui était strictement nécessaire. J’étais écartée des jeux, et écartée non pas brusquement, mais très habilement, comme si

  1. Voy. Mercure de France, n01 444, 445 et 446.