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Je voulais me jeter sur le prince, intercéder pour Catherine, mais le prince répéta sévèrement son ordre et j’allai en haut, glacée de peur, pâle comme une morte. Dans notre chambre, je me couchai sur le divan. Je comptais les minutes, j’attendais Catherine avec impatience, je voulais me jeter à ses pieds. Enfin elle parut. Elle passa devant moi sans dire un mot et s’assit dans un coin. Ses yeux étaient rouges, ses joues mouillées de larmes. Ma résolution s’évanouit aussitôt. Je la regardai effrayée, sans pouvoir bouger. De toutes mes forces je m’accusais et tâchais de me prouver que c’était moi qui étais coupable de tout. Mille fois je voulus m’approcher de Catherine et mille fois je me retins, ne sachant pas comment je serais accueillie.

Toute une journée se passa ainsi. Dans la soirée du lendemain, Catherine devint plus gaie et joua au cerceau dans la salle. Mais bientôt elle abandonna son jeu et alla s’asseoir seule dans un coin. Avant de se coucher, tout d’un coup elle se tourna vers moi, fit même deux pas de mon côté ; ses lèvres remuèrent et s’ouvrirent pour me dire quelque chose ; mais elle s’arrêta, se détourna et alla se mettre au lit. Une autre journée se passa encore de la même façon. Mme  Léotard, étonnée, se mit enfin à interroger Catherine : qu’avait-elle ? n’était-elle pas malade pour, tout d’un coup, se tenir si tranquille ? Catherine répondit quelque chose, et prit même son volant ; mais dès que Mme  Léotard se fut éloignée, elle rougit, se mit à pleurer, et s’enfuit de la chambre pour que je ne la visse pas. Enfin, juste trois jours après notre querelle, soudain, après dîner, elle entra dans ma chambre et, timidement, s’approcha de moi.

— « Papa m’a ordonné de vous demander pardon, prononça-t-elle. Est-ce que vous me pardonnez ? »

Je saisis les deux mains de Catherine, et, étouffant d’émotion, je lui dis :

— « Oui, oui.

— « Papa m’a ordonné de vous embrasser. Est-ce que vous m’embrasserez ? »

En réponse je me mis à baiser ses mains que je couvrais de mes larmes. Ayant jeté un regard sur Catherine, je remarquai chez elle quelque chose d’extraordinaire : ses lèvres remuaient légèrement, son menton tremblait, ses yeux étaient mouillés ;