Page:Dostoievski - Niétotchka Nezvanova.djvu/87

Cette page a été validée par deux contributeurs.

payer une gouvernante. Elle a appris toute seule, parce qu’elle a bon cœur. Vous devriez l’aimer, et vous voulez vous fâcher contre elle. C’est honteux, honteux ! Elle est orpheline, elle n’a personne. Vous pourriez peut-être, pendant que vous y êtes, vous vanter d’être princesse, tandis qu’elle ne l’est pas ! Je vous laisse. Réfléchissez à ce que je viens de vous dire, et corrigez-vous. »

La princesse réfléchit juste deux jours. Pendant ces deux jours on n’entendit pas son rire et ses cris. Étant éveillée dans la nuit, je l’entendis qui, même en rêve, continuait à discuter avec Mme  Léotard. Elle avait maigri et pâli pendant ces deux jours.

Enfin le troisième jour, nous nous rencontrâmes en bas, dans la grande salle. La princesse venait de chez sa mère. En m’apercevant, elle s’arrêta et s’assit non loin, en face. J’attendais avec crainte ce qui allait arriver et je tremblais de tout mon corps.

— « Niétotchka, pourquoi m’a-t-on grondée à cause de vous ? » demanda-t-elle enfin.

— « Ce n’est pas à cause de moi, Catherine », répondis-je pour me justifier.

— « Mme  Léotard dit que je vous ai offensée.

— « Non, Catherine, vous ne m’avez pas offensée. »

La princesse leva les épaules en signe d’étonnement.

— « Pourquoi pleurez-vous tout le temps ? » demanda-t-elle après un court silence.

— « Je ne pleurerai pas si vous le voulez », répondis-je à travers les larmes.

De nouveau, elle leva les épaules.

— « Auparavant vous pleuriez comme ça ? »

Je ne répondis pas.

— « Pourquoi demeurez-vous chez nous ? » demanda tout à coup la princesse après un silence.

Je la regardai étonnée et il me sembla que quelque chose me mordait au cœur.

— « Parce que je suis orpheline », répondis-je enfin.

— « Vous n’avez ni père ni mère ?

— « Non.

— « Est-ce qu’ils vous aimaient ?

— « Non… Oui… ils m’aimaient, répondis-je avec peine.