Page:Dostoievski - Niétotchka Nezvanova.djvu/86

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Quand la leçon de Mme Léotard fut terminée, j’essayai de lui parler pour dissiper au plus vite son dépit et lui montrer que je n’étais en rien coupable des paroles de la Française. Mais Catherine fit semblant de ne pas m’entendre et se tut. Une heure après elle entra dans la chambre où j’étais assise devant un livre, toujours songeant à Catherine, surprise et attristée que, de nouveau, elle ne voulût point me parler. Elle me regarda en dessous, s’assit comme à l’ordinaire sur le divan, et pendant une demi-heure elle ne me quitta pas des yeux.

Enfin, n’y tenant plus, je la regardai d’un air interrogateur

— « Vous savez danser ? » demanda Catherine.

— « Non. Je ne sais pas.

— « Et moi, je sais. »

Silence.

— « Et le piano. Est-ce que vous jouez du piano ?

— « Non.

— « Et moi, je joue. C’est très difficile à apprendre. »

Je me taisais.

— « Mme Léotard dit que vous êtes plus intelligente que moi.

— « Mme Léotard était fâchée contre vous, dis-je.

— « Est-ce que papa se fâchera aussi ?

— « Je ne sais pas », répondis-je.

Un nouveau silence. La princesse frappait de son petit pied sur le parquet.

— « Alors vous vous moquerez de moi parce que vous comprenez mieux que moi ? » demanda-t-elle enfin, ne pouvant retenir son dépit.

— « Oh ! non, non ! » m’écriai-je, en m’élançant de ma place pour me jeter vers elle et l’embrasser.

— « N’avez-vous pas honte, princesse, de penser ainsi et de poser de pareilles questions ? » éclata tout à coup la voix de Mme Léotard, qui depuis cinq minutes déjà nous observait et écoutait notre conversation. Vous devriez avoir honte ! Voilà que vous vous êtes mise à envier cette pauvre enfant et à vous vanter devant elle de savoir danser et jouer du piano. C’est très vilain. Je raconterai tout cela au prince. »

Les joues de la petite princesse s’empourprèrent.

— « C’est un mauvais sentiment. Vous l’avez offensée avec vos questions. Ses parents étaient pauvres et ne pouvaient pas