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son. C’était le moment où elle se trouvait toujours dehors pour son travail. Mon père était là avec un étranger, et tous deux causaient à haute voix. J’attendais avec impatience le départ de ce visiteur et, dès que je fus seule avec mon père, j’allai me jeter dans ses bras, et, en sanglotant, je me mis à le supplier de me pardonner ma conduite d’hier.

— « Seras-tu une enfant sage, comme auparavant ? me demanda-t-il sévèrement.

— « Oui, petit père, répondis-je. Je te dirai où maman cache l’argent. Hier il était dans cette petite boîte.

— « Où ? s’écria-t-il, s’animant soudain et se levant de sa chaise. Où est-il ?

— « L’argent est enfermé, petit père ! dis-je. Attends à ce soir, quand maman enverra changer, parce que la petite monnaie est déjà toute dépensée.

— « J’ai besoin de quinze roubles, Niétotchka, tu entends ? Seulement quinze roubles. Trouve-les-moi aujourd’hui et demain je te rapporterai tout. Et tout de suite j’irai t’acheter des gâteaux, des noix. Je t’achèterai aussi une poupée, demain même… Et chaque jour je t’apporterai des cadeaux, si tu es gentille…

— « Non père, il ne faut pas… Je ne veux pas de gâteaux. Je ne les mangerai pas. Je te les rendrai ! » m’écriais-je en sanglotant, car une terrible angoisse venait de me saisir au cœur.

Je sentais à ce moment qu’il n’avait pas pitié de moi, qu’il ne m’aimait pas, puisqu’il ne voyait pas que je l’aimais et qu’il pensait que je n’agirais que pour des cadeaux. À ce moment, moi, une enfant, je le comprenais merveilleusement, et je sentais que désormais je ne pourrais plus l’aimer comme auparavant, que j’avais perdu pour toujours mon petit père. Lui, il était dans l’enthousiasme à cause de mes promesses. Il voyait que j’étais prête à tout pour lui, que je ferais tout pour lui, et Dieu sait combien pour moi il y avait de choses dans ce « tout » ! Je comprenais ce que représentait cet argent pour ma pauvre maman. Je savais qu’elle pouvait tomber malade de chagrin si elle le perdait, et le remords criait en moi. Mais lui ne voyait rien. Il me considérait comme une enfant de trois ans, alors que je comprenais déjà tout. Son enthousiasme ne connaissait pas de bornes. Il m’embrassait, me suppliait de ne pas pleurer, me promettait qu’aujourd’hui même nous nous