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tait-il en délire. Alors tu ne m’aimes pas. C’est bien. Maintenant je t’abandonne. Reste avec ta mère. Moi, je m’en irai et ne te prendrai pas avec moi, tu entends, méchante fille ! Tu entends…

— « Petit père ! m’écriai-je saisie d’horreur. Prends l’argent, va ! Que puis-je faire maintenant ? disais-je en me tordant les mains et le saisissant par son veston. Maman pleurera, maman me grondera encore… »

Il paraissait ne pas s’être attendu à une résistance pareille ; toutefois il prit l’argent. Enfin, n’ayant plus la force d’entendre mes supplications et mes sanglots, il m’abandonna sur l’escalier et courut en bas…

Je montai chez nous ; mais à la porte de notre logement mes forces m’abandonnèrent. Je n’osais pas entrer : je ne pouvais pas entrer. Tout ce que j’avais de cœur était révolté et bouleversé. Le visage enfoui dans mes mains, je m’assis près de la fenêtre, comme le jour où j’avais entendu exprimer à mon père son désir que maman meure.

J’étais dans une sorte d’inconscience et tremblais au moindre bruit dans l’escalier. Enfin j’entendis qu’on montait hâtivement. C’était lui. Je reconnaissais son pas.

— « Tu es ici ? » chuchota-t-il.

Je me jetai vers lui.

— « Tiens ! fit-il en me mettant l’argent dans la main. Prends-le. Maintenant je ne suis plus ton père. Tu aimes ta mère plus que moi. Alors va chez ta mère. Moi je ne veux plus te connaître ! » Et, en disant cela, il me repoussa et de nouveau descendit en courant l’escalier.

Toute en pleurs, je me mis à courir derrière lui.

— « Père, petit père, je t’obéirai ! criai-je. Je t’aime plus que maman ! Reprends l’argent ! Reprends-le ! »

Mais il ne m’entendit pas et disparut à ma vue…

Toute cette soirée, je fus comme morte et tremblante de fièvre. Je me rappelle que maman me parla, m’appela près d’elle ; mais je n’entendais et ne voyais rien. Enfin la crise se produisit. Je me mis à pleurer, à crier. Maman, effrayée, ne savait que faire. Elle me prit dans son lit, et je ne me souviens plus comment je m’endormis, mes bras autour de son cou, tremblant de peur à chaque instant. Toute la nuit se passa ainsi. Le matin, je m’éveillai tard ; maman n’était déjà plus à la mai-