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lèvres tremblantes, bleuies de colère, rompit le premier le silence.

— Assez, dit-il d’une voix sourde d’émotion. Vous ne voulez pas, je pense, que j’emploie la violence. Alors donnez-moi cette lettre de bonne volonté.

Ce fut seulement alors que je me ressaisis. L’offense, la honte, l’indignation contre sa brutalité m’avaient bouleversée. Des larmes brûlantes coulaient sur mes joues empourprées. Je tremblais toute d’émotion, et, pendant un certain temps, il me fut impossible de prononcer un mot.

— Avez-vous entendu ? dit-il en faisant deux pas en avant.

— Laissez-moi ! Laissez-moi ! m’écriai-je en m’éloignant de lui. Vous avez agi bassement, vous vous êtes oublié. Laissez-moi passer !

— Comment ! Qu’est-ce que cela signifie ! Et vous osez encore prendre ce ton… après que vous… Donnez-moi cette lettre, vous dis-je.

Il avança encore vers moi ; mais ayant jeté un regard sur moi, il vit dans mes yeux tant de résolution qu’il s’arrêta comme s’il avait réfléchi.

— Bon, dit-il enfin sèchement, comme s’il avait pris une décision. Cela viendra à son tour, mais d’abord…

Il jeta un regard circulaire.

— Vous… Qui vous a laissé entrer dans la bibliothèque ? Pourquoi cette armoire est-elle ouverte ? Où avez-vous pris la clef ?

— Je ne répondrai pas, dis-je. Je ne puis pas parler avec vous… Laissez-moi ! Laissez-moi !

J’avançai vers la porte.

— Permettez, dit-il en me prenant la main ; vous ne vous en irez pas comme cela…

Sans mot dire, j’arrachai ma main et de nouveau fis un mouvement vers la porte.

— C’est bon. Mais cependant je ne puis pas vous permettre de recevoir, dans ma maison, des lettres de vos amants !

Je poussai un cri et le regardai comme une folle.

— C’est pourquoi…

— Arrêtez ! m’écriai-je. Comment pouvez-vous… Comment avez-vous osé me parler ainsi ?… Mon Dieu ! mon Dieu !

— Quoi ! Quoi ! Vous menacez encore ?