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elle implorait à ses genoux un pardon qu’elle recevait aussitôt. Mais les souffrances de sa conscience duraient encore longtemps, ainsi que ses larmes et ses supplications de lui pardonner. À la suite de pareilles scènes, pendant des mois entiers, elle se montrait encore plus timide et plus craintive devant son mari. Je ne pouvais rien comprendre à ces reproches et à ces scènes, pendant lesquelles on me renvoyait toujours dans ma chambre, d’ailleurs très gauchement. Mais ils ne pouvaient pas se cacher de moi complètement. J’observais, je remarquais, je devinais, et dès le commencement même j’avais eu le soupçon vague qu’il y avait là un mystère, que ces convulsions d’un cœur meurtri ne devaient pas être l’effet d’un simple état nerveux, que ce n’était pas sans raison que le mari avait toujours les sourcils froncés, que sa compassion pour sa pauvre femme malade n’était pas sans fondement, de même que la timidité et la crainte d’Alexandra Mikhaïlovna, en sa présence, et cet amour tendre, étrange, qu’elle n’osait même pas manifester devant lui, que cet isolement enfin, cette vie de recluse, cette rougeur, cette pâleur mortelle qui alternaient sur son visage en présence de son mari devaient avoir une raison.

Il est vrai que de pareilles scènes étaient très rares, car notre vie était très monotone ; j’en connaissais déjà le détail de très près, d’autant que je grandissais et me développais rapidement ; mais beaucoup d’impressions nouvelles qui commençaient à se faire jour en moi, bien qu’inconsciemment, me distrayaient de mes observations. Je m’étais enfin habituée à ce genre de vie, aux caractères de ceux qui m’entouraient. Sans doute il m’était impossible de ne pas réfléchir parfois en regardant Alexandra Mikhaïlovna, mais je n’arrivais pas à une conclusion. Je l’aimais beaucoup, je respectais ses malheurs, et je craignais de blesser son cœur par ma curiosité. Elle me comprenait et bien des fois elle fut sur le point de me remercier pour mon attachement. Tantôt, remarquant mes soins, elle souriait, et parfois, à travers ses larmes, elle se raillait elle-même de pleurer si fréquemment ; tantôt elle se mettait tout d’un coup à me dire qu’elle était très, très heureuse, que tout le monde était si bon pour elle, que toutes les personnes qu’elle avait connues jusqu’à présent l’avaient aimée beaucoup, mais que ce qui la tourmentait était de voir que Piotr Alexandrovitch était toujours triste à cause d’elle,