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J’aimais tant l’automne, — l’arrière-saison, quand déjà on rentre les blés et on finit tous les travaux, quand dans les izbas commencent les veillées et que tout le monde attend déjà l’hiver. Alors tout prend une teinte plus sombre ; le ciel se couvre de nuages, les feuilles jaunes s’amoncellent, formant des sentiers à la lisière du bois dépouillé ; celui-ci revêt une couleur bleu noir, le soir surtout, lorsque tombe le brouillard humide au travers duquel les arbres apparaissent comme des géants, comme de monstrueux et effrayants fantômes. Parfois, à la promenade, je me laissais devancer par les autres ; puis m’apercevant que j’étais restée en arrière, qu’il n’y avait plus personne à mes côtés, je pressais le pas avec une sensation de malaise. Je tremblais comme la feuille : « Si quelque être terrible me guettait, caché dans le creux de cet arbre ? » me disais-je. Pendant ce temps le vent soufflait à travers le bois, le remplissait de ses mugissements et de ses plaintes, détachait des rameaux flétris une nuée de feuilles qu’il faisait tourbillonner dans l’air ; à leur suite passait avec des cris sauvages et perçants une volée d’oiseaux, longue et large au point d’obscurcir le ciel dans toute son étendue.