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permis sans amour ? Mais quelle pire offense que celle-là pour une femme ? Me comprends-tu ? Je sais comment on vous amuse, comment on vous permet d’avoir des amoureux même ici. Ce n’est qu’un jeu, une supercherie ! Vous vous y laissez prendre, et l’on se rit de vous. Qu’est-ce, en effet, que ton amoureux ? T’aime-t-il ? Jamais ! Comment pourrait-il t’aimer sachant que tu vas être obligée de le quitter à l’instant ! C’est un malpropre, voilà tout. T’estime-t-il le moins du monde ? Y a-t-il quelque chose de commun entre toi et lui ? Il se moque de toi, il te vole : voilà son amour. Estime-toi heureuse qu’il ne te batte pas… Eh ! qui sait ? il te bat peut-être… Demande-lui un peu s’il veut t’épouser, il te rira au nez [1] s’il ne te crache pas au visage et si ― cette fois au moins ! ― il ne te bat pas. Et pourtant il ne vaut peut-être pas deux kopecks hors d’usage… ― Quand on y pense ! pourquoi donc as-tu enseveli ta vie ici ? Est-ce parce qu’on te donne du café et qu’on te nourrit bien ? Mais dans quel but te nourrit-on ? Chez une honnête fille un pareil morceau ne passerait pas le gosier ! Elle verrait toujours le secret motif de

  1. En russe : il te rira dans les yeux.