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J’étais trop épris de la mienne pour être sensible au prestige de nulle autre ou même pour m’intéresser à nulle autre, et toute objection était vouée fatalement à s’anéantir dans sa propre formule. Je pouvais donc sans risque être courageux, et, fort de l’appro­bation de Vassine, je résignai ma coutumière ré­serve et m’abandonnai à la joie de parler. Les yeux fixés sur lui, et avec une volubilité dont je m’éton­nais :

— J’estime, déclarai-je, qu’il est légitime que cha­cun ait ses sentiments à soi, les garde hors de tout contrôle et s’y entête sans souci des objections.

— Est-ce bien sûr? gouailla la même voix qui avait interrompu Diergatchov et mis sur le tapis la natio­nalité de Kraft.

Ce plaisant ne pouvait être qu’une « nullité » com­plète, un être tout à fait négligeable. Je le dédaignai donc, et, me tournant vers le professeur comme si c’était lui qui eût parlé :

— Quant à moi, je n’oserais juger personne, ajou­tai-je en tremblant.

— Et pourquoi ce ton mystérieux ? questionna la nullité.

— Chacun a son idée, continuai-je, en regardant en lace le professeur, lequel d’ailleurs se taisait, sou­riant.

— La vôtre ? s’enquit la nullité.

— Ce serait trop long à raconter. Mais mon idée implique qu’on ait à me laisser tranquille. Si j’ai deux roubles... j’entends n’agir qu’à ma guise, ne dépendre de personne (laissez, laissez... je con­nais les objections), n’être astreint à rien, fût-ce en fa­veur de cette grande future humanité au bénéfice de laquelle on a convié M. Kraft à travailler. La liberté