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Bref, tous les détenus étaient d’humeur romanesque et fantastique. Tout à coup, huit jours après l’évasion, le bruit se répandit qu’on avait trouvé la piste. Ce bruit fut naturellement démenti avec mépris, mais vers le soir il prit de la consistance. Les forçats s’émurent. Le lendemain matin, on disait déjà en ville qu’on avait arrêté les fugitifs et qu’on les ramenait. Après le dîner, on eut de nouveaux détails : ils avaient été arrêtés à soixante-dix verstes de la ville, dans un hameau. Enfin on reçut une nouvelle authentique. Le sergent-major, qui revenait de chez le major, assura qu’ils seraient amenés au corps de garde le soir même. Ils étaient pris, il n’y avait plus à en douter. Il est difficile de rendre l’impression que fit cette annonce sur les forçats ; ils s’exaspérèrent tout d’abord, puis se découragèrent. Bientôt je remarquai chez eux une tendance à la moquerie. Ils bafouèrent, non plus l’administration, mais les fugitifs maladroits. Ce fut d’abord le petit nombre, puis tous firent chorus, sauf quelques forçats graves et indépendants, que des moqueries ne pouvaient émouvoir. Ceux-là regardèrent avec mépris les masses étourdies et gardèrent le silence.

Autant on avait glorifié auparavant Koulikof et A—f, autant on les dénigra ensuite. On les dénigrait même avec plaisir, comme s’ils avaient offensé leurs camarades en se laissant prendre. On disait avec dédain qu’ils avaient eu probablement très-faim, et que ne pouvant supporter leurs souffrances, ils étaient venus dans un hameau demander du pain aux paysans, ce qui est le dernier abaissement pour un vagabond. Ces récits étaient faux, car on avait suivi les fugitifs à la piste ; quand ils étaient entrés sous bois, on avait fait cerner la forêt dans laquelle ils se trouvaient. Voyant qu’il n’y avait plus moyen de se sauver, ils se rendirent. Ils n’avaient rien d’autre à faire.

On les amena le soir, pieds et poings liés, escortés de gendarmes ; tous les forçats se jetèrent sur la palissade pour