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fouetté… » — M-tski n’était pas noble, et avait été fouetté avant sa déportation. Quand ce souvenir lui revenait, il grinçait des dents et détournait les yeux. Vers la fin de sa réclusion, il se promenait presque toujours seul. Un jour, à midi, on l’appela chez le commandant, qui le reçut le sourire aux lèvres.

— Eh bien ! M—tski, qu’as-tu rêvé cette nuit ? lui demanda-t-il.

« Quand il me dit cela, je frissonnai, nous raconta plus tard M—tski ; il me sembla qu’on me perçait le cœur. »

— J’ai rêvé que je recevais une lettre de ma mère, répondit-il.

— Mieux que ça, mieux que ça ! répliqua le commandant. Tu es libre. Ta mère a supplié l’Empereur… et sa prière a été exaucée. Tiens, voilà sa lettre, voilà l’ordre de te mettre en liberté. Tu quitteras la maison de force à l’instant même.

Il revint vers nous, pâle et croyant à peine à son bonheur.

Nous le félicitâmes. Il nous serra la main de ses mains froides et tremblantes. Beaucoup de forçats le complimentèrent aussi ; ils étaient heureux de son bonheur.

Il devint colon et s’établit dans notre ville, où peu de temps après on lui donna une place. Il venait souvent à la maison de force et nous communiquait différentes nouvelles, quand il le pouvait. C’était les nouvelles politiques qui l’intéressaient surtout.

Outre les quatre Polonais, condamnés politiques dont j’ai parlé, il y en avait encore deux tout jeunes, déportés pour un laps de temps très-court ; ils étaient peu instruits, mais honnêtes, simples et francs. Un autre, A—tchoukovski, était par trop simple et n’avait rien de remarquable, tandis que B—m, un homme déjà âgé, nous fit la plus mauvaise impression. Je ne sais pas pourquoi il avait été exilé, bien qu’il le racontât volontiers : c’était un caractère mesquin, bourgeois, avec les idées et les habitudes grossières