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— Qu’as-tu à venir me faire la leçon ? es-tu maître d’école, par hasard ?

— Bien sûr qu’il faut te reprendre.

— Qui es-tu donc ?

— Moi, je suis un homme ; toi, qui es-tu ?

— Un rogaton pour les chiens ! voilà ce que tu es !

— Toi-même…

— Allons, assez ! qu’avez-vous à « brailler » ? leur criait-on de tous côtés.

Le soir même de la rébellion, je rencontrai Pétrof derrière les casernes, après le travail de la journée. Il me cherchait. Il marmottait deux ou trois exclamations incompréhensibles en s’approchant, il se tut bientôt et se promena machinalement avec moi. J’avais encore le cœur gros de toute cette histoire, et je crus que Pétrof pourrait me l’expliquer.

— Dites donc, Pétrof, lui demandai-je, les vôtres ne sont pas fâchés contre nous ?

— Qui se fâche ? me dit-il comme revenant à lui.

— Les forçats… contre nous, contre les nobles ?

— Et pourquoi donc se fâcheraient-ils ?

— Parbleu, parce que nous ne les avons pas soutenus.

— Et pourquoi vous seriez vous mutinés ? me répondit-il en s’efforçant de comprendre ce que je lui disais, — vous mangez à part, vous !

— Mon Dieu ! mais il y en a des vôtres qui ne mangent pas l’ordinaire et qui se sont mutinés avec vous. Nous devions vous soutenir… par camaraderie.

— Allons donc ! êtes-vous nos camarades ? me demanda-t-il avec étonnement.

Je le regardai ; il ne me comprenait pas et ne saisissait nullement ce que je voulais de lui : moi, en revanche, je le compris parfaitement. Pour la première fois, une idée qui remuait confusément dans mon cerveau et qui me hantait depuis longtemps s’était définitivement formulée ;