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me brûle, je commence à hurler : on me donne mon second mille, je me dis : Voilà ma fin qui arrive ; ils m’avaient fait perdre la tête, j’avais les jambes comme rompues… crac ! me voilà à terre ! avec les yeux d’un mort, la figure toute bleue, la bouche pleine d’écume ; je ne soufflais plus. Le médecin arrive et dit que je vais mourir. On me porte à l’hôpital ; je reviens tout de suite a moi. Deux fois encore on me donna les verges. Comme ils étaient fâchés ! oh ! comme ils enrageaient ! mais je les ai tout de même mis dedans ces deux fois encore : je reçois mon troisième mille, je crève de nouveau ; mais, ma foi, quand ils m’ont administré le dernier mille, chaque coup aurait dû compter pour trois, c’était comme un couteau droit dans le cœur, ouf ! comme ils m’ont battu ! Ils étaient acharnés après moi ! Oh ! cette charogne de quatrième mille (que le……… !), il valait les trois premiers ensemble, et si je n’avais pas fait le mort quand il ne m’en restait plus que deux cents à recevoir, je crois qu’ils m’auraient fini pour de bon ; mais je ne me suis pas laissé démonter, je les flibuste encore une fois et je fais le mort : ils ont cru de nouveau que j’allais crever, et comment ne l’auraient-ils pas cru ? le médecin lui-même en était sûr ; mais après ces deux cents qui me restaient, ils eurent beau taper de toute leur force (ça en valait deux mille), va te faire fiche ! je m’en moquais pas mal, ils ne m’avaient tout de même pas esquinté, et pourquoi ? Parce que, étant gamin, j’avais grandi sous le fouet. Voilà pourquoi je suis encore en vie ! Oh ! m’a-t-on assez battu dans mon existence ! » répéta-t-il, d’un air pensif, en terminant son récit ; et il semblait se ressouvenir et compter les coups qu’il avait reçus, « Eh bien, non ! ajoutait-il après un silence, on ne les comptera pas, on ne pourrait pas les compter ! on manquerait de chiffres ! » Il me regarda alors et partit d’un éclat de rire si débonnaire que je ne pus m’empêcher de lui répondre par un sourire. « Savez-vous, Alexandre Pétrovitch, quand je rêve la nuit, eh bien, je rêve toujours