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et demandât enfin à sortir. Le docteur chef, bien que très-compatissant et honnête (les malades l’aimaient aussi beaucoup), était incomparablement plus sévère et plus résolu que notre médecin ordinaire ; dans certains cas, il montrait une sévérité impitoyable qui lui attirait le respect des forçats. Il arrivait toujours dans notre salle, accompagné de tous les médecins de l’hôpital, quand son subordonné avait fait sa tournée, et diagnostiquait sur chaque cas en particulier ; il s’arrêtait plus longtemps auprès de ceux qui étaient gravement atteints et savait leur dire un mot encourageant, qui les remontait et laissait toujours la meilleure impression. Il ne renvoyait jamais les forçats qui arrivaient avec des coliques de rechange, mais, si l’un d’eux s’obstinait à rester à l’hôpital, il l’inscrivait bon pour la sortie : « — Allons, camarade, tu t’es reposé, va-t’en maintenant, il ne faut abuser de rien. » Ceux qui s’entêtaient à rester étaient surtout les forçats excédés de la corvée, pendant les grosses chaleurs de l’été, ou bien des condamnés qui devaient être fouettés. Je me souviens que l’on fut obligé d’employer une sévérité particulière, de la cruauté même pour expulser l’un d’eux. Il était venu se faire soigner d’une maladie des yeux qu’il avait tout rouges : il se plaignait de ressentir une douleur lancinante aux paupières. On le traita de différentes manières, on employa des vésicatoires, des sangsues, on lui injecta les yeux d’une solution corrosive, etc., etc., mais rien n’y fit, le mal ne diminuait pas, et l’organe malade était toujours dans le même état. Les docteurs devinèrent enfin que cette maladie était feinte, car l’inflammation n’empirait ni ne guérissait : le cas était suspect. Depuis longtemps les détenus savaient que ce n’était qu’une comédie et qu’il trompait les docteurs, bien qu’il ne voulût pas l’avouer. C’était un jeune gaillard, assez bien de sa personne, mais qui produisait une impression désagréable sur tous ses camarades : il était dissimulé, soupçonneux, sombre, regardait toujours en dessous,