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— Que désirez-vous ?

J’eusse perdu contenance, si la colère ne m’eût soutenu.

— Ce que je désire ? Accueille donc un hôte, fais-lui boire de l’eau-de-vie. Je suis venu te faire une visite.

L’Allemand réfléchit un instant et me dit : Asseyez-vous ! Je m’assis.

— Voici de l’eau-de-vie ; buvez, je vous prie.

— Donne-moi de bonne eau-de-vie, toi ! dis donc. — Je me mettais toujours plus en colère.

— C’est de bonne eau-de-vie.

J’enrageai de voir qu’il me regardait de haut en bas. Le plus affreux, c’est que Louisa contemplait cette scène. Je bus, et je lui dis :

— Or çà, l’Allemand, qu’as-tu donc à me dire des grossièretés ? Faisons connaissance, je suis venu chez toi en bon ami.

— Je ne puis être votre ami, vous êtes un simple soldat.

Alors je m’emportai.

— Ah ! mannequin ! marchand de saucisses ! Sais-tu que je puis faire de toi ce qui me plaira ? Tiens, veux-tu que je te casse la tête avec ce pistolet ?

Je tire mon pistolet, je me lève et je lui applique le canon à bout portant contre le front. Les femmes étaient plus mortes que vives ; elles avaient peur de souffler ; le vieux tremblait comme une feuille, tout blême.

L’Allemand s’étonna, mais il revint vite à lui.

— Je n’ai pas peur de vous et je vous prie, en homme bien élevé, de cesser immédiatement cette plaisanterie ; je n’ai pas peur de vous du tout.

— Oh ! tu mens, tu as peur ! Voyez-le ! Il n’ose pas remuer la tête de dessous le pistolet.

— Non, dit-il, vous n’oserez pas faire cela.

— Et pourquoi donc ne l’oserais-je pas ?

— Parce que cela vous est sévèrement défendu et qu’on vous punirait sévèrement.