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sans détours comment vous… (à cet endroit de son discours sa parole devint hésitante) — comment vous avez trouvé alors Nicolas Vsévolodovitch… Quel effet a-t-il produit sur vous… quelle opinion avez-vous pu vous faire de lui, et… avez-vous maintenant ?… » Ici, son embarras fut tel qu’elle dut s’interrompre pendant une minute, et qu’elle rougit tout à coup. J’étais inquiet. Elle reprit d’un ton non pas ému — l’émotion ne lui va pas — mais fort imposant : « Je désire que vous me compreniez bien. Je vous ai envoyé chercher parce que je vous considère comme un homme plein de pénétration et de finesse, capable, par conséquent, de faire des observations exactes. (Comment trouvez-vous ces compliments ?) Vous comprendrez aussi sans doute que c’est une mère qui vous parle… Nicolas Vsévolodovitch a éprouvé dans la vie certains malheurs, et traversé plusieurs vicissitudes. Tout cela a pu influer sur l’état de son esprit. Bien entendu, il n’est pas question ici, il ne saurait être question d’aliénation mentale ! (Ces mots furent prononcés d’un ton ferme et hautain) Mais il a pu résulter de là quelque chose d’étrange, de particulier, un certain tour d’idées, une disposition à voir les choses sous un jour spécial. » Ce sont ses expressions textuelles, et j’admirais, Stépan Trophimovitch, avec quelle précision Barbara Pétrovna savait s’expliquer. C’est une dame d’une haute intelligence ! « Du moins », continua-t-elle, « j’ai moi-même remarqué chez lui une sorte d’inquiétude constante et une tendance à des inclinations particulières. Mais je suis mère, et vous, vous êtes un étranger ; par suite, vous êtes en mesure, avec votre intelligence, de vous former une opinion plus indépendante. Je vous supplie enfin (c’est ainsi qu’elle s’est exprimée : je vous supplie) de me dire toute la vérité, sans aucune réticence, et si, en outre, vous me promettez de ne jamais oublier le caractère confidentiel de cet entretien, vous pouvez compter qu’à l’avenir je ne négligerai aucune occasion de vous témoigner ma reconnaissance ». Eh bien, qu’est-ce que vous en dites ?