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Oh ! vous ne croyez pas que je puisse trouver en moi assez de grandeur d’âme pour savoir finir mes jours en qualité de précepteur chez un marchand, ou mourir de faim au pied d’un mur ! Répondez, répondez sur le champ : le croyez-vous ou ne le croyez-vous pas ?

Je me tus, comme un homme qui craint d’offenser son interlocuteur par une réponse négative, mais qui ne peut en conscience lui répondre affirmativement. Dans toute cette irritation il y avait quelque chose dont j’étais décidément blessé, et pas pour moi, oh ! non ! Mais… je m’expliquerai plus tard.

Il pâlit.

— Peut-être vous vous ennuyez avec moi, G…ff (c’est mon nom), et vous désireriez… mettre fin à vos visites ? dit-il de ce ton glacé qui précède d’ordinaire les grandes explosions. Inquiet, je m’élançai vers lui ; au même instant entra Nastasia. Elle tendit silencieusement un petit papier à Stépan Trophimovitch. Il le regarda, puis me le jeta. C’était la réponse de Barbara Pétrovna, trois mots écrits au crayon : « Restez chez vous ».

Stépan Trophimovitch prit son chapeau et sa canne, sans proférer une parole, et sortit vivement de la chambre ; machinalement, je le suivis. Tout à coup un bruit de voix et de pas pressés se fit entendre dans le corridor. Il s’arrêta comme frappé d’un coup de foudre.

— C’est Lipoutine, je suis perdu ! murmura-t-il en me saisissant la main.

Comme il achevait ces mots, Lipoutine entra dans la chambre.