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ancien fonctionnaire, et il possédait un tchin. En ce moment il venait de manger une soupe au poisson et attaquait son second plat, — des pommes de terre en robe de chambre. À cela se réduisait invariablement sa nourriture, mais il aimait beaucoup le thé et en faisait une grande consommation. Autour de lui allaient et venaient trois domestiques gagés par le marchand ; l’un d’eux était en frac, un autre ressemblait à un artelchtchik[17], le troisième avait l’air d’un rat d’église ; il y avait encore un garçon de seize ans qui se remuait beaucoup. Indépendamment des laquais, là se trouvait aussi, un tronc dans la main, un moine du couvent de Saint-Euthyme, homme à cheveux blancs et d’un extérieur respectable, malgré un embonpoint peut-être excessif. Sur une table bouillait un énorme samovar, à côté d’un plateau contenant environ deux douzaines de grands verres. En face, sur une autre table, s’étalaient les offrandes : quelques pains de sucre et quelques livres de la même denrée, deux livres de thé, une paire de pantoufles brodées, un foulard, une pièce de drap, une pièce de toile, etc. Les dons en argent entraient presque tous dans le tronc du moine. Il y avait beaucoup de monde dans la chambre, les visiteurs seuls se trouvaient au nombre d’une douzaine ; deux d’entre eux avaient pris place derrière le treillage, près de Sémen Iakovlévitch : l’un, vieux pèlerin aux cheveux blancs, était à coup sûr un homme du peuple ; l’autre, petit et maigre, était un religieux de passage dans notre ville ; assis modestement, il tenait ses yeux baissés. Le reste de l’assistance, debout devant le treillage, se composait presque exclusivement de moujiks ; on remarquait toutefois dans ce public un propriétaire, une vieille dame noble et pauvre, enfin un gros marchand venu d’une ville de district ; ce dernier était porteur d’une grande barbe et habillé à la russe, mais on lui connaissait une fortune de cent mille roubles. Tous attendaient leur bonheur en silence. Quatre individus s’étaient mis à genoux ; l’un d’eux