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III

Enfin eut lieu aussi une explication avec le gouverneur. À peine de retour de la ville, notre cher Ivan Osipovitch dut prendre connaissance de la plainte déposée au nom du club. Sans doute il fallait faire quelque chose, mais quoi ? Notre aimable vieillard se trouvait assez embarrassé, car lui-même n’était pas sans avoir une certaine peur de son jeune parent. À la fin pourtant, il s’arrêta à la combinaison suivante : agir sur Nicolas Vsévolodovitch pour le décider à présenter au club ainsi qu’à l’offensé des excuses satisfaisantes, écrites même, au besoin ; puis lui insinuer en douceur qu’il ferait bien de nous quitter, d’entreprendre, par exemple, un voyage d’agrément en Italie ou dans tout autre pays de l’Europe. Le jeune homme qui, comme membre de la famille, avait accès dans toute la maison, fut cette fois reçu à la salle. Un employé de confiance, Alexis Téliatnikoff, était assis devant une table, dans un coin, et décachetait des dépêches. Dans la pièce suivante, près de la fenêtre la plus rapprochée de la porte de la salle, se trouvait un colonel gros et bien portant qui, de passage dans notre ville, était venu faire visite à son ami et ancien camarade Ivan Osipovitch. Ce militaire tournait le dos à la salle et lisait le Golos : évidemment il ne s’occupait pas de ce qui se passait derrière lui. Le gouverneur commença à voix basse un discours hésitant et quelque peu confus. Nicolas, assis près du vieillard, l’écoutait avec une physionomie qui n’avait rien d’aimable ; pâle, les yeux baissés, il fronçait les sourcils comme un homme qui lutte contre une violente souffrance.

— Votre cœur, Nicolas, est bon et noble, dit entre autres choses le gouverneur, — vous êtes un homme fort instruit,