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faisait d’autant plus volontiers que personne n’était aux écoutes. Pierre Stépanovitch se taisait et paraissait plus sérieux que de coutume. Ce fut un nouveau stimulant pour l’orateur.

— Savez-vous quelle est ma situation à moi « administrateur de la province » ? poursuivit-il en se promenant dans son cabinet. — J’ai trop d’obligations pour pouvoir en remplir une seule, et en même temps je puis dire, avec non moins de vérité, que je n’ai rien à faire. Tout le secret, c’est que mon action est entièrement subordonnée aux vues du gouvernement. Mettons que par politique, ou pour calmer les passions, le gouvernement établisse là-bas la république, par exemple, et que, d’un autre côté, parallèlement, il accroisse les pouvoirs des gouverneurs ; nous autres gouverneurs, nous avalerons la république ; que dis-je ? nous avalerons tout ce que vous voudrez, moi, du moins, je me sens capable d’avaler n’importe quoi… En un mot, que le gouvernement me télégraphie de déployer une activité dévorante, je déploie une activité dévorante. J’ai dit ici, ouvertement, devant tout le monde : « Messieurs, pour la postérité de toutes les institutions provinciales, une chose est nécessaire : l’extension des pouvoirs conférés au gouverneur. » Voyez-vous, il faut que toutes ces institutions, soit territoriales, soit juridiques, vivent, pour ainsi dire, d’une vie double, c’est-à-dire, il faut qu’elles existent (j’admets cette nécessité), et il faut d’autre part qu’elles n’existent pas. Toujours suivant que le gouvernement le juge bon. Tel cas se produit où le besoin des institutions se fait sentir, à l’instant les voilà debout dans ma province ; cessent- elles d’être nécessaires ? à l’instant je les fais disparaître, et vous n’en trouvez plus trace. Voilà comme je comprends l’activité dévorante, mais elle est impossible si l’on n’augmente pas nos pouvoirs. Nous causons entre quatre yeux. Vous savez, j’ai déjà signalé à Pétersbourg la nécessité pour le gouverneur d’avoir un factionnaire particulier à sa porte. J’attends la réponse.

— Il vous en faut deux, dit Pierre Stépanovitch.