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pas ? À quoi bon cette comédie ? interrompit-il violemment.

Mais elle n’eut pas l’air de l’avoir entendu ; sa physionomie était soucieuse et maussade.

— Écoutez, prince, répéta-t-elle pour la troisième fois d’un ton ferme ; — quand, l’autre jour, dans la voiture vous m’avez dit que vous feriez connaître notre mariage, je me suis effrayée à la pensée que notre secret serait rendu public. Maintenant je ne sais pas, j’ai beaucoup réfléchi, et je vois clairement que je ne suis bonne à rien. Je sais m’habiller, à la rigueur je saurais aussi recevoir : il n’est pas bien difficile d’offrir une tasse de thé aux gens, surtout quand on a des domestiques. Mais, n’importe, on me regardera de travers. Dimanche, lors de ma visite dans cette maison-là, j’ai observé bien des choses. Cette jolie demoiselle m’a examinée tout le temps, surtout à partir du moment où vous êtes entré. C’est vous, n’est-ce pas, qui êtes entré alors ? Sa mère, cette vieille dame du monde, est simplement ridicule. Mon Lébiadkine s’est distingué aussi ; pour ne pas éclater de rire, j’ai toujours regardé le plafond, il est orné de belles peintures. Sa mère _à lui _pourrait être supérieure d’un couvent ; j’ai peur d’elle, quoiqu’elle m’ait fait cadeau d’un châle noir. Toutes ces personnes ont dû donner un triste témoignage de moi, je ne leur en veux pas, seulement je me disais alors en moi-même : Quelle parente suis-je pour elles ? Sans doute on n’exige d’une comtesse que les qualités morales, — celles d’une femme de ménage ne lui sont pas nécessaires, car elle a une foule de laquais, — mettons qu’il lui faut aussi un peu de coquetterie mondaine pour être en état de recevoir les étrangers de distinction, voilà tout ! Mais, n’importe, dimanche on me regardait d’un air de désolation. Dacha seule est un ange. J’ai bien peur qu’on ne l’ait chagrinée en _lui_ tenant des propos inconsidérés sur mon compte.

— N’ayez pas peur et ne vous tourmentez pas, dit Nicolas Vsévolodovitch avec un sourire qu’il ne réussit pas à rendre agréable.