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heure, que vous avez exagéré mes idées d’alors. Il me semble même qu’elles étaient encore plus exclusives, encore plus absolues, et je vous assure pour la troisième fois que je désirerais vivement confirmer d’un bout à l’autre tout ce que vous venez de dire, mais…

— Mais il vous faut un lièvre ?

— Quo-oi ?

Chatoff se rassit.

— Je fais allusion, répondit-il avec un rire amer, — à la phrase ignoble que vous avez prononcée, dit-on, à Pétersbourg : « Pour faire un civet de lièvre, il faut un lièvre ; pour croire en Dieu, il faut un dieu. »

— À propos, permettez-moi, à mon tour, de vous adresser une question, d’autant plus qu’à présent, me semble-t-il, j’en ai bien le droit. Dites-moi : votre lièvre est-il pris ou court-il encore ?

— N’ayez pas l’audace de m’interroger dans de pareils termes, exprimez-vous autrement ! répliqua Chatoff tremblant de colère.

— Soit, je vais m’exprimer autrement, poursuivit Nicolas Vsévolodovitch en fixant un œil sévère sur son interlocuteur ; — je voulais seulement vous demander ceci : vous-même, croyez-vous en Dieu, oui ou non ?

— Je crois à la Russie, je crois à son orthodoxie… Je crois au corps du Christ… Je crois qu’un nouvel avènement messianique aura lieu en Russie… Je crois… balbutia Chatoff qui dans son exaltation ne pouvait proférer que des paroles entrecoupées.

— Mais en Dieu ? En Dieu ?

— Je… je croirai en Dieu.

Stavroguine resta impassible. Chatoff le regarda avec une expression de défi, ses yeux lançaient des flammes.

— Je ne vous ai donc pas dit que je ne crois pas tout à fait ! s’écria-t-il enfin ; je ne suis qu’un pauvre et ennuyeux livre, rien de plus, pour le moment, pour le moment… Mais périsse mon nom ! Ce n’est pas de moi qu’il s’agit, c’est de