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subite ; il avait l’air d’un homme qu’on a interrompu tout à coup à l’endroit le plus intéressant de son discours, et qui, tout en tenant ses yeux fixés sur vous, n’a pas encore eu le temps de comprendre votre question.

— Vous ne m’avez pas laissé achever, répondit en souriant Nicolas Vsévolodovitch.

— Eh ! cela ne signifie rien, plus tard ! répliqua Chatoff avec un geste méprisant, et il aborda aussitôt le thème qui pour lui était le principal.

VII

Le corps penché en avant, l’index de la main droite levé en l’air par un mouvement évidemment machinal, Chatoff dont les yeux étincelaient commença d’une voix presque menaçante :

— Savez-vous quel est à présent dans l’univers entier le seul peuple « déifère », appelé à renouveler le monde et à le sauver par le nom d’un Dieu nouveau, le seul qui possède les clefs de la vie et de la parole nouvelle… Savez-vous quel est ce peuple et comment il se nomme ?

— D’après la manière dont vous posez la question, je dois forcément conclure et, je crois, le plus vite possible, que c’est le peuple russe…

— Et vous riez, ô quelle engeance ! vociféra Chatoff.

— Calmez-vous, je vous prie ; au contraire, j’attendais précisément quelque chose dans ce genre.

— Vous attendiez quelque chose dans ce genre ? Mais vous-même ne connaissez-vous pas ces paroles ?

— Je les connais très bien ; je ne vois que trop où vous voulez en venir. Toute votre phrase, y compris le mot de peuple « déifère », n’est que la conclusion de l’entretien que nous avons eu ensemble à l’étranger il y a plus de