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ces récits, Nicolas Vsévolodovitch avait brusquement commencé une existence de folies. Ce n’était pas qu’il jouât ou s’adonnât outre mesure à la boisson ; non, on signalait seulement chez lui des excentricités sauvages, on parlait de gens écrasés par ses chevaux ; on lui reprochait un procédé féroce à l’égard d’une dame de la bonne société qu’il avait outragée publiquement après avoir eu des relations intimes avec elle. Il y avait même quelque chose de particulièrement ignoble dans cette affaire. De plus, on le dépeignait comme un bretteur cherchant noise à tout le monde, insultant les gens pour le plaisir de les insulter. L’inquiétude s’empara de la générale. Stépan Trophimovitch lui assura qu’une organisation trop riche devait nécessairement jeter sa gourme, que la mer avait ses orages, et que tout cela ressemblait à la jeunesse du prince Harry que Shakespeare nous représente faisant la noce en compagnie de Falstaff, de Poins et de mistress Quickly. Cette fois, loin de traiter de « sornettes » les paroles de son ami, comme elle avait coutume de le faire depuis quelque temps, Barbara Pétrovna, au contraire, les écouta très volontiers ; elle se les fit expliquer avec plus de détails et lut même très attentivement l’immortel ouvrage du tragique anglais. Mais cette lecture ne lui procura aucun apaisement : les analogies signalées par Stépan Trophimovitch ne la frappèrent point. Voulant être fixée sur la conduite de son fils, elle écrivit à Pétersbourg, et attendit fiévreusement la réponse à ses lettres. Le courrier lui apporta bientôt les plus fâcheuses nouvelles : le prince Harry avait eu, presque coup sur coup, deux duels dans lesquels tous les torts se trouvaient de son côté ; il avait tué roide l’un de ses adversaires, blessé l’autre grièvement, et, à raison de ces faits, il allait passer en conseil de guerre. L’affaire se termina par sa dégradation et son envoi comme simple soldat dans un régiment d’infanterie ; encore usa-t-on d’indulgence à son égard.

En 1863, ayant eu l’occasion de se distinguer, Nicolas Vsévolodovitch fut décoré et promu sous-officier ; peu après