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sur lettres, et, je l’avoue, j’avais fini par ne plus les lire jusqu’au bout. Pardonne-moi, Stépan Trophimovitch, un aveu aussi bête, mais, tu dois en convenir, tes lettres, bien qu’elles me fussent adressées, étaient plutôt écrites pour la postérité ; par conséquent peut t’importait que je les lusse… Allons, allons, ne te fâche pas ; toi et moi nous sommes toujours parents ! Mais cette lettre, Barbara Pétrovna, cette lettre, je l’ai lue tout entière. Ces « péchés » — ces « péchés d’un autre », ce sont pour sûr, nos petits péchés à nous, et il y a gros à parier qu’ils sont les plus innocents du monde, mais nous avons imaginé de bâtir là-dessus une histoire terrible pour nous donner un vernis de noblesse, pas pour autre chose. C’est que, voyez-vous, nos comptes boitent un peu, il faut bien l’avouer enfin. Vous savez, nous avons la passion des cartes… du reste, ce sont là des paroles superflues, absolument superflues, pardon, je suis trop bavard, mais je vous assure, Barbara Pétrovna, qu’il m’avait positivement effrayé et que j’étais accouru en partie pour le « sauver ». Enfin, c’est pour moi- même une affaire de conscience. Est-ce que je viens lui mettre le couteau sur la gorge ? Est-ce que je suis un créancier impitoyable ? Il m’écrit quelque chose au sujet de la dot… Du reste, tu te maries, n’est-ce pas, Stépan Trophimovitch ? Eh bien, alors, trêve de vaines paroles, c’est bavarder uniquement pour faire du style… Ah ! Barbara Pétrovna, tenez, je suis sûr qu’à présent vous me condamnez, et justement parce que j’ai aussi fait du style…

— Au contraire, au contraire, je vois que vous êtes à bout de patience, et sans doute vous avez vos raisons pour cela, répondit d’un ton irrité Barbara Pétrovna.

Elle avait écouté avec un malin plaisir Pierre Stépanovitch témoignant ses regrets d’avoir bavardé de la sorte. Évidemment il venait de jouer un rôle, — lequel ? je l’ignorais encore, mais il était visible que sa prétendue « gaffe » avait été préméditée.

— Au contraire, continua Barbara Pétrovna, — je vous suis très reconnaissante d’avoir parlé ; sans vous je ne