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sourcil, et, d’un air sérieux, presque sévère, tendit sa main. La « malheureuse » la baisa avec le plus profond respect, tandis qu’une reconnaissance exaltée mettait une flamme dans ses yeux. Sur ces entrefaites s’approcha la gouvernante accompagnée d’un grand nombre de dames et de hauts fonctionnaires. Force fut à Julie Mikhaïlovna de s’arrêter durant une minute, tant était compact le groupe qui encombrait le parvis de la cathédrale.

— Vous tremblez, vous avez froid ? observa soudain Barbara Pétrovna ; puis se débarrassant de son bournous que le laquais saisit au vol, elle ôta de dessus ses épaules un châle noir d’un assez grand prix, et en enveloppa elle-même la solliciteuse toujours agenouillée.

— Mais levez-vous donc, levez-vous, je vous prie !

L’inconnue obéit.

— Où demeurez-vous ? Se peut-il que personne ne sache où elle demeure ? fit impatiemment la générale en promenant de nouveau ses yeux autour d’elle. Mais le rassemblement n’était plus composé des mêmes personnes que tout à l’heure ; c’étaient maintenant des connaissances de Barbara Pétrovna, des gens du monde qui contemplaient cette scène, les uns d’un air aussi étonné que sévère, les autres avec une curiosité narquoise et l’espoir d’un petit scandale ; plusieurs même commençaient à rire.

Parmi les assistants se trouvait notre respectable marchand Andréieff ; il était là en costume russe, avec ses lunettes, sa barbe blanche et un chapeau rond qu’il tenait à la main.

— Je crois que cette personne est une Lébiadkine, dit enfin le brave homme en réponse à la question de Barbara Pétrovna ; — elle habite dans la maison Philippoff, rue de l’Épiphanie.

— Lébiadkine ? la maison Philippoff ? J’en ai entendu parler… je vous remercie, Nikon Séménitch, mais qu’est-ce que c’est que Lébiadkine ?