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a cru que je voulais le prendre pour dupe. Je lui ai dit la vérité ; mon intention est, en effet, de publier un livre et de fonder une imprimerie.

— Il est honnête, fort honnête, confirmai-je avec chaleur.

— Du reste, si la chose n’est pas arrangée pour demain, j’irai moi-même, quoi qu’il advienne, dût toute la ville le savoir.

— Je ne pourrai pas être chez vous demain avant trois heures, observai-je.

— Eh bien, je vous attendrai à trois heures. Ainsi je ne m’étais pas trompée hier chez Stépan Trophimovitch en supposant que vous m’étiez quelque peu dévoué ? ajouta-t-elle avec un sourire, puis elle me serra la main, et courut retrouver Maurice Nikolaïévitch.

Je sortis fort préoccupé de ma promesse ; je ne comprenais rien à ce qui se passait. J’avais vu une femme au désespoir qui ne craignait pas de se compromettre en se confiant à un homme qu’elle connaissait à peine. Son sourire féminin dans un moment si difficile pour elle, et cette allusion aux sentiments qu’elle avait remarqués en moi la veille, avaient fait leur trouée dans mon cœur comme des coups de poignard, mais ce que j’éprouvais était de la pitié et rien de plus ! Les secrets d’Élisabeth Nikolaïevna avaient pris soudain à mes yeux un caractère sacré, et si, en ce moment, on avait entrepris de me les révéler, je crois que je me serais bouché les oreilles pour ne pas en savoir davantage. Je pressentais seulement quelque chose… Avec tout cela je n’avais pas la moindre idée de la manière dont j’arrangerais cette entrevue. Tout mon espoir était dans Chatoff, bien que je pusse prévoir qu’il ne me serait d’aucune utilité. Néanmoins je courus chez lui.