Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/122

Cette page n’a pas encore été corrigée

de femme. Les infirmités vont venir, il vous faut quelqu’un qui s’occupe de votre santé… Ma foi, moi-même, tout le temps que je suis resté enfermé avec vous, je me disais in petto que la Providence m’envoyait Daria Pavlovna au déclin de mes jours orageux, qu’elle s’occuperait de ma santé, qu’elle mettrait de l’ordre dans mon ménage… Il fait si sale chez moi ! regardez, tout est en déroute, tantôt j’ai ordonné de ranger, eh bien, voilà encore un livre qui traîne sur le plancher. La pauvre amie se fâchait toujours en voyant la malpropreté de mon logement… Oh ! maintenant sa voix ne se fera plus entendre ! Vingt ans ! Elle reçoit, paraît-il, des lettres anonymes ; figurez-vous, Nicolas aurait vendu son bien à Lébiadkine. C’est un monstre ; et enfin qu’est-ce que c’est que Lébiadkine ? Lise écoute, écoute, oh ! il faut la voir écouter ! Je lui ai pardonné son rire en remarquant quelle attention elle prêtait à cela, et ce Maurice… je ne voudrais pas être à sa place en ce moment ; c’est un brave homme tout de même, mais un peu timide ; du reste, que Dieu l’assiste !

La fatigue l’obligea à s’arrêter, d’ailleurs ses idées se troublaient de plus en plus ; il baissa la tête, et, immobile, se mit à regarder le plancher d’un air las. Je profitai de son silence pour raconter ma visite à la maison Philippoff ; à ce propos, j’émis froidement l’opinion qu’en effet la sœur de Lébiadkine (que je n’avais pas vue) pouvait avoir été victime de Nicolas, à l’époque où celui-ci menait, suivant l’expression de Lipoutine, une existence énigmatique ; dès lors, il était fort possible que Lébiadkine reçût de l’argent de Nicolas, mais c’était tout. Quant aux racontars concernant Daria Pavlovna, je les traitai de viles calomnies, en m’autorisant du témoignage d’Alexis Nilitch, dont il n’y avait pas lieu de mettre en doute la véracité. Stépan Trophimovitch m’écouta d’un air distrait, comme si la chose ne l’eût aucunement intéressé. Je lui fis part aussi de ma conversation avec Kiriloff, et j’ajoutai que ce dernier était peut-être fou.