— Jusqu’au gorille ?
— Jusqu’au changement physique de l’homme et de la terre. L’homme sera dieu et changera physiquement. Une transformation s’opèrera dans le monde, dans les pensées, les sentiments, les actions. Croyez-vous qu’alors l’homme ne subira pas un changement physique ?
— S’il devient indifférent de vivre ou de ne pas vivre, tout le monde se tuera, et voilà peut-être en quoi consistera le changement.
— Cela ne fait rien. On tuera le mensonge. Quiconque aspire à la principale liberté ne doit pas craindre de se tuer. Qui ose se tuer a découvert où gît l’erreur. Il n’y a pas de liberté qui dépasse cela ; tout est là, et au-delà il n’y a rien. Qui ose se tuer est dieu. À présent chacun peut faire qu’il n’y ait plus ni Dieu, ni rien. Mais personne ne l’a encore fait.
— Il y a eu des millions de suicidés.
— Mais jamais ils ne se sont inspirés de ce motif ; toujours ils se sont donné la mort avec crainte et non pour tuer la crainte. Celui qui se tuera pour tuer la crainte, celui-là deviendra dieu aussitôt.
— Il n’en aura peut-être pas le temps, remarquai-je.
— Cela ne fait rien, répondit M. Kiriloff avec une fierté tranquille et presque dédaigneuse. — Je regrette que vous ayez l’air de rire, ajouta-t-il une demi-minute après.
— Et moi, je m’étonne que vous, si irascible tantôt, vous soyez maintenant si calme, nonobstant la chaleur avec laquelle vous parlez.
— Tantôt ? Tantôt c’était ridicule, reprit-il avec un sourire ; — je n’aime pas à quereller et je ne me le permets jamais, ajouta-t- il d’un ton chagrin.
— Elles ne sont pas gaies, les nuits que vous passez à boire du thé.
Ce disant, je me levai et pris ma casquette.
— Vous croyez ? fit l’ingénieur en souriant d’un air un peu étonné, pourquoi donc ? Non, je… je ne sais comment fon