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us ainsi Maurice Nikolaïévitch ? C’est l’homme le meilleur et le plus sûr qu’il y ait sur le globe terrestre, et il faut absolument que vous l’aimiez comme vous m’aimez ! Il fait tout ce que je veux. Mais, cher Stépan Trophimovitch, vous êtes donc encore malheureux pour crier au milieu de la rue : « Qui me rendra la tranquillité ? » Vous êtes malheureux, n’est-ce pas ? Oui ?

— À présent je suis heureux…

— Tante vous fait des misères ? — continua-t-elle sans l’écouter, — elle est toujours aussi méchante et aussi injuste, cette inappréciable tante ! Vous rappelez-vous le jour où vous vous êtes jeté dans mes bras au jardin et où je vous ai consolé en pleurant ?… Mais n’ayez donc pas peur de Maurice Nikolaïévitch, il sait depuis longtemps tout ce qui vous concerne, tout ; vous pourrez pleurer tant que vous voudrez sur son épaule, il vous la prêtera fort complaisamment !… Ôtez votre chapeau pour une minute, levez la tête, dressez-vous sur la pointe des pieds, je veux vous embrasser sur le front, comme je vous ai embrassé pour la dernière fois, quand nous nous sommes dit adieu. Voyez, cette demoiselle nous regarde par la fenêtre… Allons, plus haut, plus haut ; mon Dieu, comme il a blanchi !

Et, se courbant sur sa selle, elle le baisa au front.

— Allons, maintenant retournez chez vous ! Je sais où vous demeurez. J’irai vous voir d’ici à une minute. C’est moi qui vous ferai visite la première, entêté que vous êtes ! Mais ensuite je veux vous avoir chez moi pour toute une journée. Allez donc vous préparer à me recevoir.

Sur ce, elle piqua des deux, suivie de son cavalier. Nous rebroussâmes chemin. De retour chez lui, Stépan Trophimovitch s’assit sur un divan et fondit en larmes.

— Dieu ! Dieu ! s’écria-t-il, enfin une minute de bonheur !

Moins d’un quart d’heure après, Élisabeth Nikolaïevna arriva selon sa promesse, escortée de son Maurice Nikolaïévitch.

— Vous et le bonheur, vous arrivez en même temps ! dit Stépan Trophimovitch en se levant pour aller au-devant de la visiteuse.