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plus fort ! plus fort ! c’est cela ! Quand on aime !… Je serai maintenant ton esclave, ton esclave pour toute la vie. C’est doux d’être une esclave !… Embrasse-moi ! Fais-moi souffrir ! Fais de moi tout ce que tu voudras… Oh ! il faut me faire souffrir… Mais non, arrête !… Après… je le veux… dit-elle tout à coup en le repoussant. Va-t’en, je veux boire, je veux être ivre, je veux danser, je veux ! je veux !

Elle s’arracha de lui et sortit. Mitia la suivit en chancelant.

« Quoi qu’il arrive, soit ! Je donnerais le monde entier pour un tel instant ! » pensait-il.

Grouschegnka but un verre de Champagne qui l’étourdit. Elle s’assit dans un fauteuil et un sourire de bonheur lui vint aux lèvres. Ses joues se coloraient, son regard alangui appelait Mitia.

— Pourquoi ne bois-tu pas, Mitia ? J’ai bu, moi !

— Je suis ivre déjà, ma chère… Je ne veux plus de vin.

Néanmoins, il vida un verre et la tête lui tourna tout à coup. Rien encore n’avait pu l’ébranler, et ce dernier verre le grisait complètement.

— Sais-tu ? Mitia, je veux aller au monastère. Vraiment, j’irai dès le jour, Alioscha m’a dit aujourd’hui une parole que je n’oublierai jamais… Oui… Pour aujourd’hui, dansons ! Demain au monastère, aujourd’hui au bal ! Rions, bonnes gens, Dieu nous le pardonnera. Si j’étais Dieu, je pardonnerais à tout le monde, « Mes chers petits, pauvres pécheurs, je vous fais grâce ! » Je veux même demander pardon aux autres : « Pardonnez, bonnes gens, à la sotte baba ! Je suis une bête fauve, voilà ce que je suis ! Mais je sais prier, prier !… Oui, une misérable telle que moi osera prier