Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 2.djvu/68

Cette page a été validée par deux contributeurs.

crainte de Kouzma. C’est parce que je voulais pouvoir un jour dire, la tête haute, à celui-ci, qu’il est un misérable. Est-ce vrai, qu’il n’a pas voulu de ton argent ?

— Mais si ! mais si ! Seulement il voulait les trois mille tout de suite, et je ne pouvais lui en donner d’avance que sept cents.

— Ça se comprend. Il a entendu dire que j’ai de l’argent, et c’est pourquoi il veut m’épouser.

— Panie Agrippina ! s’écria le pane, je suis un chevalier, un noble Polonais, et non pas un coureur de dots ! Je suis venu pour t’épouser, mais je ne reconnais pas ma panie : celle que je vois aujourd’hui est une vaniteuse, une effrontée.

— Retourne d’où tu viens ! Je vais ordonner qu’on te chasse d’ici !… Sotte que j’étais ! Avoir souffert cinq ans pour lui ! Mais ce n’était pas pour lui que je souffrais, non, c’était pour l’amour de ma rancune ! Est-ce lui, d’ailleurs ? C’est le père de l’homme que j’ai connu ! Où as-tu acheté cette perruque ? L’autre riait, chantait… Cinq ans de larmes ! Maudite, sotte, vile, stupide femme !

Elle s’affaissa sur son fauteuil et cacha sa figure dans ses mains.

En ce moment, un chœur de babas, dans la chambre voisine, entonna un très-joyeux air de danse.

— Sommes-nous à Sodome ? s’écria le pane Vroublevsky. Eh ! patron, chasse-moi ces éhontées !

Le patron, qui regardait depuis longtemps à travers la porte et voyait que ses hôtes se querellaient, profita de l’occasion pour entrer.

— Qu’est-ce qu’il te faut ? dit-il à Vroublevsky avec une extraordinaire insolence.