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d’autrefois, aujourd’hui démodé, valait mieux !… Notre condamné au quatrillion regarde donc un moment devant lui, puis se couche en travers de la route : « Je refuse, dit-il, je refuse par principe ! » Prends l’âme d’un athée russe de la meilleure éducation et mêle-la avec l’âme du prophète Jonas qui bouda pendant trois jours et trois nuits dans le ventre d’une baleine, et tu obtiendras notre penseur étendu en travers de la route.

— Et sur quoi s’est-il étendu ?

— Il est probable qu’il y avait de quoi s’étendre ! Te moques-tu de moi ?

— Bravo ! cria Ivan.

Il écoutait avec une visible curiosité.

— Eh bien, reprit-il, a-t-il fini par se relever ?

— Il resta ainsi pendant mille ans, puis il se leva et marcha.

— Quel âne !

Ivan éclata de rire nerveusement et se mit à réfléchir.

— Rester couché éternellement ou marcher tout un quatrillion de verstes, n’est-ce pas tout un ? Mais cela fait un billion d’années de marche !

— Et même plus. Si j’avais du papier et un crayon, je ferais le calcul. Mais il y a longtemps qu’il a fait son quatrillion et c’est là que commence l’anecdote.

— Comment ! Mais où a-t-il pris un billion d’années ?

— Tu fais toujours des raisonnements terrestres et de ton temps ! La terre a peut-être elle-même subi un billion de transformations ! Elle s’est gelée, puis fondue ; elle s’est décomposée en ses éléments premiers « et de nouveau les eaux ont recouvert la terre ». Elle a passé