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tion, pas de critique, et sans critique, comment feraient les revues ? Ôtez la critique, il n’y a plus que des hosannas ! Cela ne suffit pas. Il faut que l’hosanna soit contrebalancée par le doute ! etc… » Du reste, je ne suis pour rien en tout cela : ce n’est pas moi qui ai inventé la critique, je n’ai pas à répondre pour elle. Je n’en suis pas moins le bouc émissaire : il faut que je critique ! — Et voilà l’origine de la vie. Nous comprenons très-bien, nous autres, cette comédie. Moi, je ne demande que le néant. — « Non, m’est-il répondu, il faut que tu vives, car sans toi rien n’existerait, rien ne serait possible sur la terre si tout s’y passait sagement. Sans toi, point d’action : or il faut que l’homme agisse ! » Voilà comment, bien à contrecœur, j’accomplis mon mandat : je suscite des actions humaines, je me discrédite par obéissance. Les gens, même les plus intelligents, prennent au sérieux cette comédie : et prendre au sérieux la comédie de la vie, c’est une tragédie intime et ils en souffrent, mais… en revanche ils vivent, ils vivent réellement et non idéalement ; car la souffrance, c’est la vie. Quel plaisir aurait-on sans la souffrance ? Tout serait comme une interminable cérémonie : c’est saint, mais que c’est ennuyeux ! Or moi, je souffre et pourtant je ne vis pas, je suis l’x : de l’équation à n inconnues. Je suis le spectre de la vie, je n’ai plus d’origine, je n’ai pas de fin, j’ai oublié mon nom ! Tu ris ! Non, tu ne ris pas, tu te fâches encore. Tu te fâches toujours ! Il te faudrait toujours de l’esprit ! Ah ! j’aurais donné toute cette vie supra-terrestre, tous les grades, tous les honneurs pour m’incarner en une grosse et grasse marchande et faire brûler des cierges à l’église !