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est permis ! Vous m’avez appris cela, car vous m’avez appris bien des choses : si Dieu n’existe pas, il n’y a pas de vertu, car elle serait inutile. Cela me semblait vrai.

— Tu l’avais pensé tout seul, dit Ivan avec un sourire embarrassé.

— Non pas ! C’est vous qui me l’avez révélé !

— Et maintenant ? Alors tu crois en Dieu, puisque tu rends l’argent ?

— Non, je n’y crois pas, dit Smerdiakov d’une voix à peine perceptible.

— Pourquoi donc le rends-tu ?

— Assez ! Dieu…

Smerdiakov fit un geste désespéré.

— Vous-même disiez bien que tout est permis : et maintenant pourquoi êtes-vous si inquiet ? Vous voulez même déposer contre vous… vous ne le ferez pas, dit-il avec conviction.

— Tu le verras bien.

— Cela ne se peut pas, vous êtes trop intelligent. Vous aimez l’argent, je le sais, les honneurs aussi, car vous êtes très-orgueilleux. Vous aimez les femmes, l’indépendance. Vous ne voudrez pas gâter toute votre vie et vous salir d’une telle honte. Vous êtes, de tous les enfants de Fédor Pavlovitch, celui qui lui ressemble le plus, c’est la même âme.

— Tu n’es décidément pas bête, balbutia Ivan avec stupeur.

Le sang lui monta à la tête.

— Et moi qui te croyais stupide !

— C’est par orgueil que vous le croyiez. Prenez donc l’argent.